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Un article paru dans Le Monde du 12-13 juillet 2020.
« Vous ne pouvez pas le monter sur votre balcon ? » : la bataille du garage à vélos
Ils ont envahi les cours d’immeubles et les halls d’entreprises. Alors que la crise sociale et sanitaire a remis les travailleurs en selle, le casse-tête du stationnement des bicyclettes crée la zizanie en ville.
Par Emeline Cazi Publié le 10 juillet 2020 à 02h42 - Mis à jour le 12 juillet 2020 à 16h20
Le mot glissé dans les boîtes aux lettres a sonné comme un ultimatum. « Merci de ranger vos vélos pour faire place nette, sinon on les jettera. » La menace eut l’effet escompté. La loge de l’immeuble qui abrite cinq poubelles, des poussettes, des trottinettes, et un fatras de cycles allant de la draisienne au grand modèle à sacoches a retrouvé un semblant d’ordre. Et si ce n’est ce mini-drame – parmi les bicyclettes remisées à la cave sans état d’âme, l’une l’a été par erreur –, les esprits se sont un peu apaisés.
L’ambiance est plutôt bonne, pourtant, dans cette copropriété parisienne du 18e arrondissement, quinze appartements, une quarantaine d’habitants, des cafés, des apéros, dont celui de fin de confinement qui s’est prolongé jusqu’à une heure du matin. Mais il a suffi qu’un couple investisse dans deux vélos à assistance électrique (VAE) et qu’un retraité demande à pouvoir attraper le sien sans avoir à tout déménager pour que le climat se tende.
C’est à la même période, courant mai, que la gardienne de Pauline, dans le 15e à Paris, s’est mise à tracer des traits à la craie sur les pneus des bicyclettes qui s’étaient subitement multipliées dans la cour. De cinq avant le confinement, on en compte désormais vingt, calées entre les six poubelles. « Les locataires de l’immeuble du fond doivent passer de profil pour rentrer chez eux. Ils se prennent les guidons, tout tombe », raconte la jeune femme. « Alors, la gardienne repère lesquelles bougent vraiment », et exige que les autres soient stockées ailleurs.
Chez Victor, dans le 10e, même constat. « Après le confinement, on est passé de huit à vingt vélos, pour une loge de 10 m2. Les matins sont acrobatiques : Pour peu que vous soyez rentré en premier le soir, vous aurez quatre ou cinq vélos à soulever et déplacer. Voire à ramasser. Car comme tous n’ont pas de béquille, certains sont posés les uns par-dessus les autres. »
Les halls débordent
Le casse-tête du stationnement des vélos n’est pas nouveau en France, où la ville et l’habitat ont longtemps été pensés pour la voiture. Mais depuis que la crise sanitaire a poussé un grand nombre d’urbains sur les pistes cyclables, il a pris une ampleur inédite. A Paris, Pau, Marseille, Montauban, la même question surgit aux assemblées générales de copropriétés, ou sur les boucles de mails au bureau : « Que fait-on de tous ces vélos ? » Les halls des immeubles débordent. Dans les entreprises, c’est la guerre autour du local. Au siège parisien de Matera, une start-up qui propose des services aux syndics bénévoles et coopératifs, les bicyclettes passent la journée dans l’open space.
« Vous ne pouvez pas le descendre à la cave/le monter chez vous/le laisser dehors ? », n’est pas franchement le type de réponse attendu par les « vélotafeurs », comme on surnomme ces salariés qui pédalent pour se rendre au travail. Contrairement « aux vélos loisirs, stockés dans les recoins ou sur les balcons, le vélo du quotidien a besoin d’être accessible, rapidement utilisable », confirme Dominique Riou, chargé d’études au département mobilité transport de l’Institut Paris Region. Le poteau sur le trottoir n’est pas non plus la bonne option. « Le vélo y sera dégradé, voire volé. Ou d’abord dégradé, puis volé », déplore Olivier Schneider, président de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB). Non, ce que demandent les cyclistes, c’est un local avec des arceaux sur lesquels fixer cadre et roue ensemble. Caprices d’enfants gâtés, moquent les non-concernés. Mais bien souvent, les discussions s’enveniment, avant même d’en arriver à ces considérations techniques.
Paulette, à Montauban (Tarn-et-Garonne), en sait quelque chose. Voilà trois ans que cette infirmière à la retraite, 65 ans, se démène pour aménager un espace dans son immeuble, une résidence années 1960 à cinq minutes en voiture du centre-ville, dans laquelle, a priori, l’espace ne manque pas. « Je rêve d’un vélo pour aller faire mes courses. A pied, je fatigue. Et je pourrais même aller voir ma sœur, qui vit à 6 km d’ici. » Mais son enthousiasme se heurte au veto des voisins. L’année dernière, elle est arrivée en AG de copro avec un devis pour fixer des arceaux. Montant : 100 euros, fourniture et pose comprises. Elle paie, s’il le faut. « Ils n’ont pas voulu. Une dame du 5e en a assez d’avoir vue sur les garages, elle ne veut pas avoir vue sur les vélos. » « Oui, mais si on en autorise un, jusqu’à combien on en autorise ? », a demandé un autre. « Et vous ne pouvez pas le monter sur votre balcon ? », a renchéri un troisième. Ce sont les mêmes, « tous propriétaires de garages », qui s’opposent à l’installation d’un banc sur la pelouse, à l’ombre des bouleaux. « Si on n’a rien le droit de faire, on va devenir un immeuble triste de vieilles gens dans lequel aucun jeune ne voudra s’installer », a répliqué Paulette.
« Derrière cette question triviale du stationnement de vélos se cachent en réalité des conflits de valeurs, explique la sociologue Marie-Pierre Lefeuvre. La volonté de préférer le vélo à la voiture renvoie à des modes de vie particuliers. Or la copropriété peut être la caisse de résonance de ces différences. » Difficile de savoir si cette grille de lecture s’applique à la mésaventure de Nathalie, petite quarantaine, à Marseille. Un soir, elle a retrouvé une poêle à frire, accrochée en signe de protestation à la porte de l’appartement vacant du rez-de-chaussée où elle entreposait temporairement son nouveau VAE. Le propriétaire était d’accord pour qu’elle utilise les lieux. Deux des voisines de l’immeuble, « dont une est née là », peut-être moins. De la colle forte bouchait aussi la serrure. Dans les anciens locaux de Matera, à Paris, une salariée qui avait laissé son vélo dans la cour – alors que c’est interdit – a retrouvé ses pneus crevés.
Ce problème du stationnement peut freiner ceux qui n’ont pas encore franchi le pas. Mais il en faut plus pour décourager le nouveau propriétaire de VAE, intarissable sur le bonheur de son trajet sans aléa, sans carbone et sans Covid-19. Il a tout étudié, pris des mesures, connaît tout des différents modèles d’arceaux et de râteliers. La loi d’orientation des mobilités – qui facilite la prise de décision, en AG de copro, pour aménager un local – n’a plus de secret pour lui. Paulette, dans sa résidence à Montauban, a trouvé, elle, son nouvel angle d’attaque. Une voisine a du mal à vendre son appartement. « Ne pourrait-on pas lui racheter son garage ? »
L’énergie consacrée au sujet crée du lien. « Le vélo a longtemps été mal considéré. Dans certaines copropriétés âgées, des résidents trouvent ça très moche et refusent de le voir dans la cour. Mais des jeunes familles prennent ça en main. Et, comme autour du compost, on peut faire naître du collaboratif », constate Dominique Riou. Dans le Nord parisien, chez Aurélie, une centaine d’appartements, trois sous-sols de parkings, on n’en est pas encore à bricoler ensemble, mais la quête de l’introuvable a rapproché une quinquagénaire qui vit là depuis vingt-cinq ans mais ne connaissait personne, une célibataire de 35 ans, et le jeune locataire qui monte tous les soirs son vélo à l’épaule. « La dame du conseil syndical » s’est prise d’affection pour le trio. Elle a été alertée d’une succession avec des charges impayées. « La place de parking est pour l’instant vacante. Que risquez-vous à vous installer là sans dégrader le bien et sans trop faire de vagues ? »
Tirage au sort pour les crochets
Parfois, faute de place réelle, ce qui ne doit normalement plus être le cas dans les constructions neuves, il n’y a pas d’autre choix que de se tourner vers l’extérieur. Après l’épisode poêle à frire, Nathalie a frappé aux portes du quartier. Une bijoutière a accepté de lui louer un bout de garage pour 50 euros par mois. Mais la bijoutière est partie. « En septembre, j’ai miraculeusement trouvé un local juste à côté de chez moi. J’y gare ma voiture, mon vélo, et celui d’une amie, qui n’a rien et s’était fait voler son pliant, petites roues, dans sa cage d’escalier. Mais c’est 125 euros par mois. » A ce prix, il y a un filon sous-location pour les propriétaires de box, même s’il a ses limites. A ceci près, nuance Julie, 44 ans, qui loue un fond de garage 25 euros par mois pour entreposer son vélo électrique et celui de son compagnon « que c’est souvent un lieu de stockage, que les propriétaires n’ouvrent pas à n’importe qui ».
Cette pénurie de solutions a fait pousser, sur l’espace public des grandes villes, ces « obus », « huches à pain », « cages à vélo » – il existe autant de surnoms que d’usagers pour ces parcs clos. Mais les places sont chères. Comme pour les jardins partagés, les listes d’attente s’allongent. A Paris, par souci d’équité, on a tiré au sort les utilisateurs de crochets (à 75 euros par mois). Le danger aussi, prévient Paul Lecroart, urbaniste à l’Institut Paris Région, c’est que ces équipements prennent encore de la place aux piétons. La solution, veut-il croire, c’est le mouvement « des parklets » de San Francisco, qui consiste à installer des modules de mobilier urbain (bancs, arceaux) sur les emplacements autrefois réservés à la voiture.
En France, les mentalités bougent lentement. Nicolas Argaud, membre du collectif Pau à vélo, dit avoir bataillé plus d’un an pour que 14 arceaux soient installés devant le Palais des sports, 7 700 places assises. Dans le cadre de la rénovation de la gare du Nord, plus grande gare d’Europe, la Mairie de Paris a obtenu à l’arraché 6 000 emplacements. On est encore loin des 10 000 de la gare d’Utrecht, aux Pays-Bas. « Même à Nantes, dans une ville à tendance cyclable, on manque encore de stationnement sur l’espace public, admet Annie-Claude Thiolat, vice-présidente de la FUB. Tout est lié à l’absence de culture vélo en France, où celui-ci est encore perçu comme un jouet, un loisir, mais pas pensé comme un mode de déplacement. »
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Ce Petit traité de vélosophie est un plaidoyer pour l'utilisation du vélo en ville. Chaque situation est représentée par une planche indépendante. Moyen de déplacement -les relations parfois difficiles avec les automobilistes sont abordées- le vélo est surtout présenté comme un véhicule qui ancre son utilisateur dans l'essentiel. Circuler à vélo c'est bon pour la santé et la planète mais surtout cela nous permet de retrouver notre âme d'enfant, de cesser de ressasser nos soucis et donne l'occasion à la pensée de se développer librement. Quoi de mieux pour apprécier l'instant présent ? Tous les sens sont sollicités.
Je comprends que Didier Tronchet est un adepte du vélo en ville depuis longtemps, un précurseur de ce mode de déplacement. Son Petit traité me semble s'adresser à un lecteur qui a déjà fait au moins un pas vers le vélo. Il n'est pas toujours de bonne foi mais il met des mots et des images sur des situations et des sensations que j'ai expérimentées et je m'y retrouve en tant que cycliste. Pour cela je l'ai trouvé plaisant à lire.
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Un article du Monde :
Le plan comprend un forfait de 50 euros pour la remise en état d’un vélo au sein d’un réseau référencé de réparateurs et la création de places de stationnement temporaires.
Afin d’éviter que le déconfinement soit synonyme d’une hausse massive de la pollution de l’air, le vélo est promu. Le ministère de la transition écologique et solidaire a notamment annoncé, mercredi 29 avril, un plan doté de 20 millions d’euros pour faciliter la pratique de la bicyclette et éviter que les Français privilégient trop leur voiture lorsqu’ils seront autorisés à se déplacer à nouveau, notamment pour se rendre au travail.
« Nous voulons que cette période fasse franchir une étape dans la culture vélo, et que la bicyclette soit la petite reine du déconfinement en quelque sorte », a ainsi assuré Elisabeth Borne, dans un entretien au Parisien.
La pratique du vélo pour se déplacer au quotidien est en retard en France par rapport à d’autres pays, quand 60 % des « trajets effectués dans l’Hexagone en temps normal font moins de 5 kilomètres », observe le ministère.
Le fond de 20 millions d’euros permettra de prendre « en charge des réparations, l’installation de places de stationnement ou encore des formations », précise Elisabeth Borne.
Le plan, mis en place en partenariat avec la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), comprend un forfait de 50 euros pour la remise en état d’un vélo (changement de chaîne, frein, pneu, dérailleur…) au sein d’un réseau référencé de réparateurs, qui seront répertoriés sur le site Internet de la FUB et sur une plateforme dédiée. Il y aurait 30 millions de vélos d’occasion en France.
Dispense d’autorisations préalables pour les pistes cyclables
La création de places de stationnement temporaires pour les bicyclettes sera également financée, ainsi que des « formations à la reprise d’un vélo en confiance, assurées gratuitement ».
Le décret d’application dans le secteur privé pour la mise en place du forfait mobilités durables, qui peut monter à 400 euros, sera pris « le plus rapidement possible ».
Des villes et des départements prévoient aussi de mettre en place des pistes cyclables et des aménagements piétons temporaires. Pour encourager les collectivités dans cette démarche, le ministère leur propose un soutien technique et la dispense d’autorisations préalables, « notamment des Architectes des bâtiments de France ». « Le fonds de dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) est mobilisé par les préfets pour cofinancer des pistes cyclables temporaires au cas par cas avec les collectivités territoriales qui ne disposeraient pas de ressources suffisantes », précise le ministère.
Le gouvernement invite aussi à maintenir « les voies vertes accessibles lorsque les conditions d’ouverture pour les cyclistes y sont remplies ». Et il rappelle que la vente et la réparation de vélos sont autorisées pendant le confinement.
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Un article de deux pages sur l'usage du vélo en ville dans les pages économie du Monde daté du 14 janvier 2020.
Enquête Les cyclistes n’ont jamais été aussi nombreux dans les grandes villes touchées par les grèves ; édiles et industriels s’en félicitent. Mais l’appétence pour les déplacements urbains à bicyclette pourrait n’être qu’un trompe-l’œil : dans les régions rurales et périurbaines, la petite reine recule, au profit de la voiture.
Imaginons une ville, une grande ville, peuplée et dense, mais dépourvue de transports en commun. Que se passerait-il ? Chacun se déplacerait comme il le pourrait. Les routes seraient saturées, les carrefours encombrés, les places de parking introuvables. Les automobilistes, stressés d’avance, se lèveraient très tôt ; le bruit deviendrait incessant et la pollution invivable. Sur les trottoirs, des citadins marcheraient, loin, longuement. D’autres enfin, enfourcheraient un vélo, le moyen le plus sûr de parvenir rapidement à bon port, sans fournir trop d’efforts ni s’engluer dans les embouteillages.
Le paragraphe ci-dessus ne décrit pas Lagos ni Djakarta, mais Paris et son agglomération par temps de grève. Depuis le 5 décembre 2019, date du début du mouvement social qui paralyse les métros et les trains, les Franciliens n’ont jamais eu autant recours au vélo. Les comptages publiés jour après jour à Paris comme en banlieue montrent que la pratique a plus que doublé par rapport à une période normale.
En réalité, cet engouement pour la bicyclette est antérieur à la défaillance des transports publics et ne se limite pas à la région parisienne. En septembre 2019, la fréquentation des grands axes parisiens avait progressé de 54 % par rapport à l’année précédente, à la suite de la matérialisation des pistes cyclables promises par la majorité municipale. A Bordeaux, sur le pont de Pierre, soustrait au trafic automobile depuis 2017, près de 10 000 cyclistes pédalent chaque jour, un chiffre en constante augmentation. Selon Eco Compteur, une société qui installe des boucles de comptage sur les grands axes, Lille et Lyon font partie des villes du monde où la pratique du vélo a le plus progressé entre 2017 et 2018.
L’industrie du cycle bénéficie de la tendance
A l’automne 2019, la deuxième édition du Baromètre des villes cyclables, un questionnaire conçu par la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) pour noter la qualité des déplacements à vélo, a enregistré près de 185 000 réponses, davantage que son équivalent en Allemagne, où il existe depuis 1998. Le palmarès des villes les plus « cyclables » sera opportunément dévoilé en février, un mois avant le premier tour des élections municipales.
L’industrie du cycle bénéficie logiquement de la tendance, comme le constate Boris Wahl, président et fondateur de Cyclable, un réseau de 54 magasins spécialisés dans le vélo urbain. « En 2019, le volume des ventes de vélos classiques a gagné 30 % par rapport à 2018, le vélo à assistance électrique 25 %, le vélo pliant 39 % et le cargo (doté d’un baquet) 135 % », observe-t-il.
Les boutiques de la proche banlieue de Lyon, Lille ou Toulouse ont enregistré les plus fortes progressions. En novembre et décembre, la grève a même entraîné une hausse des ventes de 79 % en Ile-de-France, hors Paris. « Cela se comprend. Les centres urbains bénéficient d’offres de transport public satisfaisantes, alors qu’en première couronne, le vélo se transforme en arme magique contre la congestion », commente M. Wahl.
Limiter la pollution atmosphérique
La promotion de la bicyclette constitue une politique publique depuis le lancement du « plan vélo » par le premier ministre, Edouard Philippe, en septembre 2018. Des financements ont été dégagés au bénéfice des collectivités locales – 50 millions d’euros par an – et un objectif chiffré a été fixé : 9 % des déplacements en 2024. Pour l’heure, la « part modale » du vélo, sa part de marché en quelque sorte, ne dépasse pas les 3 à 4 %, et la France demeure en queue du peloton européen, derrière les Pays-Bas ou le Danemark, mais aussi l’Italie ou la Pologne.
En visant davantage de trajets à vélo et moins en voiture, les pouvoirs publics entendent limiter la pollution atmosphérique et réduire les impacts du réchauffement climatique, mais aussi maîtriser les encombrements et faciliter l’accès aux commerces de proximité. Aujourd’hui, la moitié des déplacements de moins de 5 km mobilisent une voiture, une distance aisément parcourable à vélo en moins d’une demi-heure.
L’exercice physique est en outre excellent pour la santé. « La réduction du trafic motorisé permet de limiter le nombre de décès prématurés résultant de la pollution. Mais, si ces trajets, au lieu d’être effectués en voiture, le sont sur un vélo, l’impact sur la santé est sept fois plus élevé », explique Audrey de Nazelle, enseignante-chercheuse à l’Imperial College de Londres, citant des études réalisées à Barcelone et à Londres.
Un gage de qualité de vie
Enfin, la politique du guidon devient, pour les grandes villes, un gage de qualité de vie. Les résultats de l’édition 2017 du Baromètre de la FUB ont constitué, en juin 2019, l’un des critères du classement annuel des « 70 villes les plus attractives » publié par l’hebdomadaire Le Point. Les maires des grandes villes, d’Anne Hidalgo à Paris, en passant par Martine Aubry (PS) à Lille, Nicolas Florian (LR) à Bordeaux ou Eric Piolle (EELV) à Grenoble, se félicitent tous de voir un nombre croissant de leurs administrés se déplacer sur une selle.
Mais cette incontestable appétence pour les déplacements urbains à bicyclette pourrait n’être qu’un trompe-l’œil, prévient Nicolas Mercat, chef de projet pour le consultant Inddigo, auteur d’une étude sur l’impact économique de l’usage du vélo commandée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et le ministère de l’économie. « L’augmentation du nombre de trajets domicile-travail dans les grandes agglomérations s’est encore accélérée ces dernières années. Mais à l’inverse, la pratique du vélo baisse, au profit de la voiture, dans les régions rurales et périurbaines. Or, c’est justement autour des villes que la population augmente le plus », détaille le spécialiste, qui a compilé de nombreuses enquêtes statistiques.
Par ailleurs, tout le monde ne pédale pas encore. Si l’usage séduit les cadres et professions intermédiaires, « il diminue chez les ouvriers, demeure très faible chez les chômeurs et baisse dans la population en âge d’être scolarisée », regrette M. Mercat. Le vélo ressemble de ce point de vue au ski : quand on ne pratique pas enfant, on est moins enclin à s’y mettre à l’âge adulte.
Succès du vélo à assistance électrique
Ainsi, compte tenu de ces décalages sociologiques et géographiques, « il est probable que la pratique du vélo, à l’échelle de la France, continue de baisser », prévient le spécialiste, qui ne craint pas de désespérer les militants les plus enthousiastes. Il semble en tout cas difficile de parvenir à l’objectif gouvernemental de 9 % de part modale en 2024.
Mais tout espoir n’est pas perdu. Depuis quelques années, le succès du vélo à assistance électrique (VAE) modifie considérablement la portée des déplacements. Les ventes, dopées par des primes octroyées par les collectivités locales, progressent d’année en année, confirme l’organisation professionnelle Union sport et cycle. L’analyse des 270 000 bénéficiaires de la prime de 200 euros accordée par l’Etat entre février 2017 et janvier 2018 montre que c’est en périphérie des grandes agglomérations, dans les villes moyennes et dans les conurbations multipolaires que les VAE se vendent le mieux. Dans ces territoires, les distances parcourues sont plus longues, et l’usage du vélo moins répandu. Ainsi, le VAE peut aisément remplacer la voiture pour de nombreux trajets.
Mais à condition que les cyclistes bénéficient d’infrastructures fiables. Pendant des années, les municipalités ont cru qu’elles pouvaient se contenter de mettre à disposition des citadins des vélos en libre-service. Ces systèmes, très coûteux, n’ont toutefois pas suffi à convaincre les usagers, qui cherchent avant tout à se sentir en sécurité. Les villes ont alors construit, sous la pression des associations, des pistes cyclables séparées de la circulation, des carrefours sécurisés ou des arceaux de stationnement, parfois protégés des vols. Le Baromètre de la FUB et les recensements de l’Insee montrent qu’à Bordeaux ou Grenoble, équipées d’un réseau cyclable convenable, on pédale davantage qu’à Marseille ou à Perpignan, où tout cela fait défaut.
La France est loin du compte
La généralisation de ces aménagements, en ville mais aussi en proche périphérie, permettrait d’accroître significativement la pratique. Aux Pays-Bas, où le vélo constitue le principal mode de déplacement pour 36 % de la population, les pouvoirs publics consacrent 30 euros par an et par habitant aux infrastructures cyclables et ce, depuis cinquante ans.
La France est loin du compte. Seules certaines villes investissent jusqu’à 15 ou 20 euros par an et par habitant. A l’échelle nationale, en additionnant la construction de pistes, la matérialisation de voies de cyclotourisme, les parkings à vélo dans les gares, les systèmes en libre-service, ou encore les primes à l’achat, le cabinet Inddigo parvient à un total de 549 millions d’euros en 2018, investis par l’Etat et les collectivités locales. Cela correspond à 8 euros par habitant et à 1,3 % des dépenses publiques consacrées aux transports.
C’est au niveau municipal et intercommunal que se prend l’essentiel des décisions d’investissement. Or, observe M. Mercat, « dans la campagne électorale qui s’amorce, on discutera de la pertinence de la gratuité des transports publics pour les usagers ». Selon lui, « il serait bien plus efficace de promouvoir le vélo ». Les aménagements cyclables coûtent en effet bien moins cher que les routes ou les transports publics, et ne transportent pas nécessairement moins de monde. Le Grand Chambéry consacre, par exemple, 250 euros par an et par habitant aux transports en commun, pour une proportion des trajets, 3 %, équivalant à celle du vélo.
Vers un paysage urbain plus apaisé
La société Inddigo estime le coût d’un kilomètre de piste cyclable à 150 000 euros en milieu urbain peu dense, 270 000 euros en banlieue dense et 800 000 euros en cœur de ville, où il importe de prendre en considération les remarques des architectes des bâtiments de France, des opérateurs de transports et des pompiers. Le coût de l’aménagement varie en outre selon le type de voirie. « Lorsqu’on se contente de supprimer une file de stationnement automobile pour la remplacer par une piste dotée d’une bordure, le coût ne dépasse pas les 200 000 euros le kilomètre », indique M. Mercat. Enfin, 80 % des coûts des infrastructures cyclables sont dépensés en investissement, contre 20 % en fonctionnement, une proportion exactement inverse de celle qui prévaut pour les transports publics, bien plus coûteux à entretenir.
Dans les grandes villes, mais pas seulement, le sujet pourrait être tranché par les prochaines élections municipales. Mais les associations pro-vélo ne se contentent pas de réclamer des pistes cyclables. Elles insistent également sur la limitation du trafic motorisé, en particulier dans les rues tranquilles des quartiers résidentiels.
A terme, une politique en faveur du vélo révélera un paysage urbain plus apaisé, assez différent de celui que l’on connaît aujourd’hui. « C’est la ville des courtes distances, plus humaine, plus agréable à vivre », disent, en utilisant presque les mêmes mots, Nicolas Samsoen, maire (UDI) de Massy (Essonne), et Pierre Garzon, candidat (PCF) à Villejuif (Val-de-Marne). Ou comment le vélo finit par changer la ville.
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BAROMÈTRE PARLONS VÉLO DES VILLES CYCLABLES 2019 :
UN ACTE II POUR QUE LE VÉLO GAGNE LES MUNICIPALES
La FUB, Fédération française des usagers de la bicyclette, lance la seconde édition de l’enquête nationale « Baromètre Parlons vélo des villes cyclables 2019 ».
Alors que l’édition 2017 avait largement contribué au lancement du plan vélo gouvernemental, il est temps de changer de braquet et de passer d’un plan national «cadre» à son déploiement opérationnel en 1001 plans vélos locaux ! La FUB invite donc les citoyens, cyclistes ou non, quel que soit leur territoire, à répondre massivement à cette enquête, afin de mettre pour la première fois le sujet « vélo déplacement » au cœur des débats des élections municipales et de faire le « bilan vélo » de la mandature en cours.
Méthodologie de l’enquête
Le baromètre Parlons vélo des villes cyclables 2019 est la plus grande enquête jamais conduite en France auprès des usagers du vélo : 113 009 réponses ont été recueillies au niveau national lors de la première édition en 2017.Conçu et diffusé par la Fédération française des Usagers de la Bicyclette (FUB) qui regroupe 320 associa-tions adhérentes, le questionnaire s’inspire d’un modèle allemand, le Fahrradklima-Test.Il s’intègre dans un projet global de la Fédération européenne (ECF) visant à créer une méthodologie per-tinente de mesure de l’efficacité des politiques cyclables à l’échelle européenne afin d’établir quels sont les leviers les plus efficaces.Le baromètre Parlons vélo des villes cyclables 2019 est disponible en ligne du 9 septembre jusqu’au 30 novembre 2019. Cette enquête s’adresse à tous les cyclistes de France, ou celles et ceux qui rêvent de le devenir.
Rendez-vous sur: <http://barometre.parlons-velo.fr>
Son objectif : recueillir une expertise d’usage mais surtout, mesurer l’écart entre attentes et réalité constatée, permettant aux collectivités d’impulser un dynamisme en matière de politique cyclable.
Les résultats du baromètre Parlons vélo des villes cyclables 2019 seront rendus publics à l’occasion du 20èmecongrès de la FUB à Bordeaux les 6 et 7 février.
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