• Une tribune parue dans Le Monde du 1er avril 2021.

    « La pratique du vélo peut refléter des inégalités, mais elle n’en est pas la cause »

     

    Si on trouve davantage de cyclistes en centre-ville qu’en périphérie, l’urbaniste Pamela Schwartz explique, dans une tribune au « Monde », que les aménagements cyclables ne sont responsables ni des fractures sociales ni des difficultés de logement dans les métropoles.

    Tribune. Dans une tribune publiée le 27 février dans Le Monde, le géographe Matthieu Adam soutient que les aménagements cyclables favorisent les divisions sociales et la gentrification des métropoles. Cette lecture est contestable. La pratique du vélo peut refléter des inégalités, mais n’en est pas la cause ; de même que les aménagements cyclables ne causent ni les fractures sociales ni les difficultés de logement dans les métropoles. Le vélo est une réponse pertinente aux problématiques urbaines (transports saturés, pollution de l’air, bruit, etc.) et sa pratique, en complément des transports en commun, doit s’étendre au profit de tous les habitants.

    Plusieurs arguments ont été avancés. D’une part, les aménagements pour le vélo seraient trop concentrés dans les quartiers centraux, où circule de fait le plus grand nombre de cyclistes. D’autre part, en apaisant l’espace public, ils seraient un facteur d’augmentation des prix de l’immobilier, parfois manié à dessein par les élus pour attirer des populations aisées.

    L’exemple décrit est celui de Lyon, où l’usage du vélo se développe rapidement, mais de façon resserrée dans les quartiers centraux de la « zone 30 Presqu’île » (de Perrache à la Croix-Rousse en passant par le Vieux Lyon).

    Tout d’abord, parler de gentrification pour ces quartiers aisés et centraux est paradoxal, puisque ce terme décrit une transformation des quartiers populaires. On ne peut pas reprocher simultanément aux aménagements cyclables de se limiter aux quartiers favorisés, et d’être des facteurs de gentrification.

    Un non-sens

    Plus fondamentalement, l’augmentation des prix de l’immobilier évinçant les plus fragiles n’est pas le résultat des aménagements cyclables, ni de l’amélioration du cadre de vie ou de la transition écologique comme on peut parfois l’entendre. Des prix élevés peuvent d’ailleurs s’observer dans des communes où le vélo et l’environnement sont le cadet des soucis des élus.

    Et pour cause, ces prix sont d’abord le résultat d’un phénomène économique : la carence de l’offre par rapport à la demande de logements, qui caractérise les zones tendues. Pour y faire face, il est nécessaire de mobiliser les outils de la politique du logement, dont certains sont spécifiquement adaptés aux métropoles : encadrement des loyers, régulation des plates-formes type Airbnb, bail réel solidaire, etc.

    En revanche, on ne peut pas se priver d’améliorer l’espace public par crainte que cela ait un impact sur les prix du logement. A suivre ce raisonnement, on en viendrait à promouvoir la dégradation des villes et de leur environnement en tant qu’outil pour réguler le marché du logement, un non-sens !

    Comment en faire profiter tous les quartiers

    Si on ne peut accuser les cycles de favoriser les inégalités en ville, il reste une difficulté finement décrite dans la tribune de Matthieu Adam dans Le Monde. Le vélo est effectivement utilisé dans les centres-villes davantage que dans les périphéries, et par un public plus favorisé que la moyenne. Face à ce constat, et puisque le vélo est un facteur d’amélioration du fonctionnement urbain, il faut se demander comment en faire profiter tous les quartiers.

    Les études de sociologie des sciences et techniques peuvent apporter un éclairage intéressant. Elles montrent que les objets que nous utilisons au quotidien ont une histoire sociale, faite de longs débats et de compromis entre les groupes utilisateurs.

     

     

    Cela a été le cas pour le vélo, depuis l’invention des premiers cycles au début du XIXe siècle jusqu’à sa très grande popularité à la Belle Epoque. Les sociologues Wiebe Bijker et Trevor Pinch (The Social Construction of Facts and Artefacts or how the Sociology of Science and the Sociology of Technology Might Benefit Each Other, 1984, Social Studies of Science, Vol. 14, No. 3, p. 399-441) ont montré qu’à ses débuts, la petite reine n’était utilisée que dans des groupes sociaux restreints, aristocrates puis sportifs. Ce n’est qu’au moment où les innovations techniques ont permis d’agréger les demandes de tous qu’elle s’est diffusée largement. Le vélo a alors atteint sa forme actuelle, qui combine des pneus avec chambre à air souhaités par les sportifs, des roues de taille égale pour la stabilité, une chaîne pour limiter l’effort, etc.

    Créer des pistes à l’échelle régionale

    Aujourd’hui, les difficultés techniques ne se situent plus dans l’objet, très simple d’utilisation, mais plutôt dans sa pratique urbaine. Les trajets à vélo soulèvent encore des défis fonctionnels : pistes cyclables de qualité, stationnement suffisant et bien situé, transition avec les autres modes de transport… C’est en apportant une réponse à ces contraintes, qui sont plus fortes pour certains utilisateurs, que la pratique continuera à se généraliser.

    Par exemple, le manque de continuité des pistes est plus marqué dans les périphéries. Cette discontinuité serait inconcevable pour les autres modes de transport, comme si des rues ou des rails s’interrompaient soudainement devant certains obstacles. Créer des pistes à l’échelle régionale disposant d’une visibilité, d’une continuité et d’un entretien similaires aux lignes de transport est indispensable pour faciliter l’usage du vélo hors des centres-villes. C’est le but du projet de RER-Vélo dans la région Ile-de-France par exemple.

    Pour en faire un outil adapté aux longues distances, il faut simplifier les trajets associant vélo et transports en commun. Il est donc important de développer des espaces de stationnement sécurisés près des gares, comme les récentes vélos-stations des gares de Lyon et de Montparnasse à Paris. Ces parkings à vélos doivent se généraliser, être situés près des quais et devenir accessibles sans abonnement.

    Il faut continuer à adapter l’espace urbain à la pratique du vélo, sans confondre cette problématique avec celle des inégalités et du logement pour lesquelles il existe des outils spécifiques.

     


    votre commentaire
  • Deux pages concernant l'usage du vélo en ville, parues dans Le Monde du 30 mars 2021.

    Comment la révolution de la bicyclette bouleverse les villes françaises

    Si les investisseurs s’intéressent à ce moyen de transport dopé par les dernières grèves et le Covid-19 , une « vélorution » ne serait toutefois pas sans conséquence, économique et sociétale, sur un pays façonné par la voiture depuis l’après-guerre.

    La vidéo, diffusée depuis mi-décembre sur le Net, emprunte tous les superlatifs de la publicité automobile. Sur fond de musique grandiose et d’images au ralenti, « la boîte de vitesse automatique intégrée » et le moteur électrique « qui s’adapte à la conduite » vont bouleverser vos vies, promet l’homme en chemise bleu ciel, pantalon cintré et sourire insolent.

    Mais cette « première mondiale » vendue par le directeur de la stratégie de Valeo, numéro deux en France de l’équipement automobile, n’est cette fois pas destinée aux constructeurs. C’est sur le vélo à assistance électrique (VAE) dont le marché, croit-il savoir, « va être multiplié par quinze dans les dix prochaines années », que le groupe dit vouloir miser.

     

    Le vélo bouleverse nos villes

     

    Cet hiver, quand le groupe financier Bruxelles Lambert devenait l’actionnaire majoritaire du fabricant allemand Canyon, un fonds d’investissement luxembourgeois prospectait pour racheter une marque française dans l’univers de la bicyclette. Début mars, Porsche lançait deux vélos très haut de gamme quand, en France, les acteurs de la grande distribution bataillaient pour inaugurer leur atelier cycle à l’entrée des supermarchés.

    « Eviter la fuite des citadins »

    Effet d’aubaine ou véritable stratégie, l’avenir le dira. Mais si les investisseurs et les grands groupes persistent à s’intéresser à ce moyen de transport dopé par les dernières grèves et la pandémie, il est permis d’imaginer que la France pourrait devenir cette « nation du vélo » qu’Elisabeth Borne, alors ministre de l’écologie, appelait de ses vœux en mai 2020.

    Cette « vélorution », comme la surnomment ses partisans, ne serait toutefois pas sans conséquence sur un pays façonné par la voiture depuis l’après-guerre. L’aménagement des territoires, les habitudes de vie, mais aussi l’organisation de pans entiers de l’économie qui reposent sur l’usage de l’automobile seraient profondément modifiés. « Créer des endroits agréables en ville, avec moins de bruit, plus d’espaces verts, est aussi le moyen d’éviter la fuite des citadins à la campagne », note Audrey de Nazelle, chercheuse en santé publique à l’Imperial College de Londres.

    Depuis un an, le renforcement spectaculaire du réseau cyclable a entraîné une forte progression de la pratique. En 2020, hors périodes de confinement, « les comptages ont enregistré une hausse de 27 %, aussi bien en milieu urbain qu’à la campagne », note Camille Thomé, directrice de l’association d’élus Vélo & territoires. Si l’on applique cette évolution aux chiffres issus des recensements de l’Insee, la proportion des trajets effectués à vélo approcherait désormais les 4 %.

    Bien sûr, la France est encore largement distancée par l’Allemagne où, dès 2014, selon la Commission européenne, le vélo constituait le principal mode de déplacement pour 12% des personnes, un chiffre encore plus élevé au Danemark (24 %) et aux Pays-Bas (36 %). Et les objectifs affichés, en 2018, par le premier ministre, Edouard Philippe, 9 % de trajets quotidiens en 2024, semblent lointains. « Cela exigerait une augmentation de 35 % de la pratique chaque année, soit encore plus qu’en 2020 », relève le chercheur Sébastien Marrec, rattaché à l’université de Rennes.

     

    Le vélo bouleverse nos villes

     

    Recruter d’autres publics que celui des centres-villes, autrement dit des habitants de banlieues, de villes moyennes et de territoires périurbains et ruraux, là où la voiture individuelle est encore reine, est précisément l’objectif de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), dont le président, Olivier Schneider, s’est imposé comme conseiller officieux de la ministre de la transition écologique.

    La FUB a aussi imaginé une « Académie des mobilités actives » pour assister les aménageurs. L’instance doit former urbanistes, architectes, services techniques pour que le vélo et la marche soient intégrés dans l’ensemble des politiques publiques. En parallèle, l’agence de la transition écologique accompagne des élus comme ceux du parc naturel régional de Chartreuse, qui cherchent à réduire le flot quotidien des voitures vers Grenoble et Chambéry.

    Les recettes sont désormais connues : itinéraires continus, passerelles lancées au-dessus des cours d’eau, des voies ferrées ou des autoroutes, nouveaux plans de circulation. Le coût de ces infrastructures, qui serviraient à tous, implique des dépenses publiques de 30 euros par an et par habitant pendant plusieurs années, selon une étude publiée en 2020 sur l’impact économique et le potentiel des usages du vélo en France.

    « On n’en est plus très loin », assure Nicolas Mercat, coauteur de ce rapport et maire (DVG) du Bourget-du-Lac, en Savoie. Parmi les vingt-huit maires de l’agglomération Grand Lac, « plus un seul ne considère que les aménagements cyclables ne servent à rien », constate-t-il, et les investissements de l’agglomération devraient atteindre « 20 euros par an et par habitant ». Dans les territoires périurbains, ce n’est pas tant le budget qui manque qu’une logique à inverser. Tant que les documents d’urbanisme prévoient « des stationnements à moins de 100 mètres des entreprises, l’usage de la voiture est mécaniquement facilité », estime M. Mercat.

    « Une option possible »

    A Massy (Essonne), un de ces territoires des années 1960 pensés par et pour l’automobile, le maire (UDI), Nicolas Samsoen, effectue des trajets avec des chefs d’entreprise pour leur montrer « que le vélo est une option possible ». Mais les habitudes changeront vraiment lorsque, d’ici dix ans, espère t-il, la ville bénéficiera d’une nouvelle ligne de métro et d’un RER solide et fiable.

    La complémentarité entre le vélo et les transports en commun est l’une des clés du modèle nord-européen. Mais il ne consiste pas à emporter le vélo dans le train, précise l’économiste Frédéric Héran dans son essai prospectif Le Retour de la bicyclette (La Découverte, 2014). Certes, « le vélo embarqué (…) est une solution attrayante », mais dans les faits, « le cycliste n’est pas sûr de trouver une place », et pour le transporteur, c’est du retard à l’embarquement et des rames encombrées.

     

    Le vélo bouleverse nos villes

     

    Aux Pays-Bas, « les chemins de fer proposent des parkings sécurisés à moins de 50 mètres des voies », note Frédéric François, du Collectif bicyclette Bretagne. « Les utilisateurs récupèrent leur deuxième vélo à l’arrivée, ou en louent un auprès d’OV Fiets, une filiale des chemins de fer néerlandais ». Ce système a été exporté avec succès en Belgique. Pourquoi ne pas le répliquer entre Rennes et Saint-Brieuc, deux des quatre gares les plus fréquentées de la région, a suggéré le collectif breton aux candidats aux élections régionales. En Ile-de-France, l’arrivée du Grand Paris Express, le métro à 35 milliards d’euros, pourrait accélérer la tendance.

    Multiplication des décideurs

    Mais une telle réorganisation implique un changement de logique. Il faut libérer suffisamment d’espace à proximité immédiate des gares, au détriment des commerces, des bureaux ou du stationnement automobile. Et donc convaincre les collectivités et Gares & Connexions, la filiale de la SNCF, de renoncer à des parcelles qui se louent ou se concèdent à prix d’or et dont les rentes servent à entretenir et rénover le bâti.

    La multiplication des décideurs ralentit aussi la réalisation. A Chambéry, entre la conception d’un projet de parking à 20 mètres de la gare et son inauguration, en 2018, treize années ont passé. Et la vélostation (450 places) est « aujourd’hui presque saturée », signale Emmanuel Roche, chargé de la politique cyclable de l’agglomération. A Paris, la fréquentation de la gare du Nord nécessiterait « 20 000 places de stationnement », assure le chercheur Sébastien Marrec. Les plans de la rénovation en comptent 6 000. « Il n’y a pas grand monde qui soit capable d’anticiper ce que signifie un univers à 10 % ou 15 % de part modale [répartition des déplacements entre les différents moyens de transport]», constate-t-il.

    Le vélo colle à l’envie de proximité que la crise sanitaire est venue renforcer. Cela vaut aussi pour les quartiers pavillonnaires où les urbanistes, obnubilés par le concept de « ville du quart d’heure », appellent à recréer des centres autour de commerces et de rues apaisées. Ce mouvement conduira à « une rétraction des zones de chalandise », estime David Lestoux, qui conseille les collectivités, car « on ne parcourt plus si souvent 40 kilomètres pour un achat ».

    L’avenir de la cyclo-logistique

    Les habitudes de consommation changent aussi. Le ravitaillement du samedi n’est plus la norme. Place aux courses fragmentées et aux commandes en ligne. Cela produit des effets inattendus. « Plus les gens se déplacent à vélo dans une ville, plus la demande en livraisons alimentaires est importante. Mais celle-ci mobilise des véhicules thermiques », explique David Lestoux. En pleine croissance, le secteur de la cyclo-logistique, avec ses vélo-cargos susceptibles de transporter de lourdes charges, a de l’avenir.

    Est-ce pour autant le déclin de l’hypermarché de périphérie des années 1970 ? Rien n’est moins sûr. D’abord, parce que l’étalement urbain a rattrapé ces mastodontes. Bâti en 1985 sur des marais asséchés, le complexe commercial de Bordeaux Lac se trouve aujourd’hui en pleine ville. Et sa première zone de chalandise « n’excède pas les 5 km une distance convenable à vélo, et plus facilement réalisable en vélo à assistance électrique (VAE) », assure Georges Carcanis, urbaniste chez Nhood France, le nouvel opérateur d’immobilier mixte détenu par la famille Mulliez.

    Il ne faut pas sous-estimer non plus la capacité d’adaptation de ces groupes. « En Allemagne, Lidl devient opérateur en habitat et construit des logements au-dessus des supermarchés », note David Lestoux. A Nantes, dans le quartier de la Beaujoire, Carrefour s’allie à la foncière immobilière Altarea-Cogedim pour concevoir un ensemble d’habitation à proximité de son hypermarché. « L’essor du vélo accélérera cette demande », assure le consultant.

    Transmettre le goût du vélo

    La grande distribution surfe sur la tendance. Dans le Nord, le centre commercial Promenade de Flandre, inauguré en 2017 au nord de Tourcoing (10 millions de visiteurs par an dont 93 % arrivent en voiture) imagine « un boulevard urbain et nature ». Une manière d’attirer les cyclistes, mais aussi de verdir l’image de ce site hors norme. Chez Monoprix, la direction innovation envisage la création de « drive cyclistes ».

    Une ville qui fait la part belle aux modes actifs devient plus apaisée, mais aussi plus bourgeoise. « Inévitablement, les prix de l’immobilier grimpent. De nouveaux commerces s’installent, souvent du bio, du vrac, et les prix qui vont avec. Certains habitants sont contraints de partir », alerte la chercheuse Audrey de Nazelle, qui appelle à intégrer dans les politiques « un système pour ne pas exclure les gens défavorisés ». Dans les quartiers populaires, les associations s’efforcent de transmettre le goût du vélo.

    Et la voiture, dans tout ça ? La bicyclette est-elle réellement cette menace pour l’industrie automobile que sous-entendait, en septembre 2020, Carlos Tavares, le PDG de PSA, en fustigeant « un lobby anti-automobile hyperpuissant » ? « Le marché de la voiture subit une déprime, mais celle-ci ne doit pas grand-chose au vélo », nuance l’économiste des transports et président du think tank de l’Union routière de France, Yves Crozet. « L’équipement, comme le trafic, sont parvenus à un plafond ».

    L’économie de l’autopartage

    FeuVert et Norauto ont anticipé le mouvement en vendant des « VAE d’entrée de gamme », note l’étude sur l’impact économique du vélo. A l’avenir, il est « très probable » que le passage à la voiture électrique, « qui demande beaucoup moins de maintenance », pousse les ateliers à se développer autour du VAE. Et l’heure de l’économie de l’autopartage, annoncée depuis dix ans, est peut-être enfin venue.

    Frappé durement par la crise, le tourisme pourrait, lui aussi, être bousculé par la bicyclette. « Les clients recherchent des séjours actifs, de plein air, à l’écart des flux touristiques », constate Véronique Brizon, directrice d’ADN Tourisme, la fédération des institutionnels du secteur. « Le vélo répond à tout cela », même si les aménagements nécessaires à ces nouveaux vacanciers, risquent, là encore, de prendre un espace jusqu’alors dévolu aux motorisés.

    L’exemple du Mont-Saint-Michel a de quoi rassurer. Depuis 2015, autocars, voitures et camping-cars sont relégués à plus de trois kilomètres, et l’abbaye n’est accessible qu’en navette, à vélo ou à pied. Après avoir enregistré une baisse de fréquentation, le site a affiché une hausse de 6 % en 2019 avec près de 1,5 million de visiteurs et devenait le deuxième monument le plus visité de France, derrière l’Arc de triomphe.

    Par Emeline Cazi et Olivier Razemon

     

     

    « Il faudrait remplacer des trajets longs en voiture par des trajets courts à vélo »

    Si la pratique du vélo a gagné du terrain en 2020, le potentiel maximal est loin d’être atteint, analyse le chercheur Aurélien Bigo.

    Aurélien Bigo, chercheur associé à la chaire « énergie et prospérité », est l’auteur d’une thèse publiée en 2020, consacrée aux « transports face au défi de la transition énergétique ».

    Jusqu’où peut aller la pratique du vélo en France ?

    Début 2020, en France, chaque personne effectuait en moyenne 100 kilomètres à vélo par an, soit 300 mètres par jour, ce qui représente 0,6 % de la totalité des kilomètres parcourus. La pratique est environ dix fois moins élevée qu’aux Pays-Bas, ce qui illustre les marges de progression. En 2020, le vélo a beaucoup gagné, mais, même à Strasbourg, Grenoble ou Bordeaux, le potentiel maximal n’est pas atteint. Sans parler des bourgades de 3 000 habitants où chacun prend sa voiture pour tous les trajets.

    Comment cela s’explique-t-il ?

    Dans ces endroits, il n’existe aucune infrastructure, aucun stationnement spécifique pour le vélo, aucun réparateur. Personne n’a envie, ni même l’idée de pédaler. Même les adeptes du cyclisme sportif ne choisissent pas le vélo pour se déplacer. En France, selon l’Insee, 42 % des personnes qui travaillent à moins d’un kilomètre de chez eux s’y rendent en voiture.

    Si la France pédalait comme les Pays-Bas, cela suffirait-il à faire baisser les émissions de CO2 ?

    Non. Si les distances parcourues à vélo étaient multipliées par dix, cela n’entraînerait qu’une baisse de 6 % des gaz à effet de serre dus à la mobilité.

    Alors, comment fait-on ?

    Depuis deux cents ans, de manière constante, chaque personne effectue trois à quatre trajets par jour, tous modes de transport confondus, et y consacre une heure en moyenne. Or, la voiture a multiplié par dix la vitesse et les kilomètres parcourus. Il faudrait réduire les distances, remplacer des trajets longs en voiture par des trajets courts à vélo. En privilégiant les courses à proximité plutôt que les achats lointains, les gens ont accès aux mêmes biens, mais en parcourant moins de kilomètres. Ces changements de comportement supposent de délaisser le système de mobilité structuré autour de la voiture toute puissante et rapide. Cela nécessite une allocation différente des subventions à la mobilité, ainsi qu’une restructuration de l’espace, au profit du vélo et au détriment des modes motorisés. La période que nous vivons y contribue peut-être.

    Peut-on miser sur de nouveaux modes de transport ?

    Oui, à commencer par le vélo à assistance électrique, dont 50 à 70 % des nouveaux utilisateurs se déplaçaient jusqu’alors en voiture. Il existe aussi des engins intermédiaires qui roulent plus vite qu’un vélo et transportent des charges, sans consommer autant d’énergie ni occuper autant d’espace qu’une voiture. C’est le cas du vélomobile, recouvert d’un carénage qui lui confère un certain aérodynamisme. L’objet est encore peu connu. Pour créer l’offre et accroître sa visibilité, un exécutif régional pourrait en proposer, dans un premier temps, une cinquantaine à louer.

    Le vélo et ses avatars ont donc vocation à remplacer la voiture ?

    Pas pour tous les usages, mais, dans bien des cas, oui. Même pour les longues distances, le vélo, allié au train, est concurrentiel.

    Mais que deviendra l’industrie automobile ?

    L’industrie va être fortement touchée par le virage vers la voiture électrique, moins intense en main-d’œuvre. Les relocalisations, les services d’autopartage, ainsi que les modes intermédiaires évoqués plus haut, présentent des occasions de créations d’emplois. Ainsi, les constructeurs automobiles font partie des rares acteurs disposant d’une force de frappe suffisante pour produire des vélomobiles à grande échelle.

    Propos recueillis par Olivier Razemon

     

     

    A Saint-Denis, la difficulté de rendre le vélo accessible à tous

     

    Le vélo bouleverse nos villes

    Le local de la Maison du vélo, à Saint-Denis, en juin 2015.

     

    A la Maison du vélo, pour une adhésion annuelle de 20 euros, les Dionysiens apprennent à réparer une roue ou ajuster un dérailleur. Une façon de développer la pratique et de résinsérer des personnes loin de l’emploi.

    Les douze hommes et femmes qui expliquent comment réparer une roue crevée et ajuster un dérailleur n’étaient pas forcément des adeptes de la bicyclette lorsque les hasards d’une vie chaotique leur ont offert une place d’un an à la Maison du vélo, à Saint-Denis, dans le nord de Paris. Très vite, la plupart le sont devenus. Et surtout, avec la petite équipe qui les encadre, ils sont parmi les mieux placés pour parler du potentiel de développement de la bicyclette dans les quartiers populaires. De ses freins aussi.

    Le lieu, ni un magasin ni un atelier mais tout cela à la fois, donne sur la rue Gabriel-Péri, d’où on entend siffler les guetteurs de la cité voisine. Lorsque l’association Etudes et Chantiers Ile-de-France s’y installe, en 2015, l’idée est de réinsérer des personnes loin de l’emploi, mais aussi de rendre le vélo « accessible à une population pour laquelle il n’est pas forcément une évidence », explique Elsa Weber, chargée de communication de l’association. L’expérience, initiée aux Ulis, dans l’Essonne, a été étendue à d’autres quartiers prioritaires de la région.

    En échange d’une adhésion annuelle de 20 euros, les familles peuvent s’offrir un vélo récupéré à la déchetterie, dans les caves des immeubles – une moyenne de 200 par an – et que les salariés ont remis en état. Comptez 65 euros, maximum, pour un cadre adulte. Dix euros pour le modèle enfant. La carte donne aussi accès aux ateliers d’autoréparation.

    Quelque 300 familles se sont laissé convaincre. « Nous sommes dans un quartier où les gens sont éloignés de tout », explique Redouane Bernaz, encadrant technique. « Parfois, les parents viennent chercher un vélo pour leur enfant, et ils commencent à regarder, posent des questions. Il y a encore des barrières culturelles, mais on leur ouvre le champ des possibles. »

    Initiation à la mécanique

    Ici, les adultes, et notamment les femmes, sont plus nombreux qu’ailleurs à ne pas avoir appris à pédaler étant jeune. C’est l’une des raisons pour laquelle l’équipe a voulu importer de Belgique le projet « Un vélo pour 10 ans » dont le principe consiste à permettre à un enfant, dès 3 ans, de recevoir un premier vélo puis de l’échanger gratuitement à mesure qu’il grandit. Au passage, chaque retour à l’atelier donne lieu à une initiation à la mécanique.

    Mais la bonne idée belge n’a pas encore connu tout le succès escompté à Saint-Denis. En quatre ans, sur les 80 filles et garçons sélectionnés pour recevoir un premier vélo, seule une vingtaine est passée au second modèle. Et aucun, pour le moment, au troisième.

    « Je relance régulièrement les familles pour savoir si le vélo n’est pas trop petit, mais c’est compliqué de les faire revenir. Elles sont méfiantes, ont peur qu’on leur reprenne. D’autres ont changé de numéro ou sont parties », explique Louise Laigroz, chargée de projet. Pour autant, elle projette de distribuer 40 nouveaux vélos cette année, et de dupliquer l’opération porte de Vanves, dans le sud de Paris.

    L’équipe anime aussi souvent des ateliers mécaniques ou de « remise en selle » au pied des immeubles. A l’âge de l’école élémentaire, les filles sont aussi nombreuses que les garçons à vouloir s’entraîner à changer une chambre à air. Au collège, les trop nombreux préjugés tiennent encore les adolescentes à l’écart.

    Par Emeline Cazi


    votre commentaire
  • Un article paru dans le numéro de mars 2021 du magazine Ca m'intéresse.


    votre commentaire
  • Un article paru dans Le Monde daté des 14 et 15 février 2021.

     

    Le succès grandissant de la bicyclette, électrique ou non, pousse certains fabricants à relocaliser une partie de leur production dans l’Hexagone ou en Europe.

    Par Olivier Razemon

     

    Le vélo « made in France », une lente renaissance

    Chaîne d’assemblage de la Manufacture française du cycle, à Machecoul-Saint-Même (Loire-Atlantique), le 18 mai 2020.

    JEAN CLAUDE MOSCHETTI / REA

     

    « Vélo fabriqué en France » : voici une promesse séduisante, gage de proximité, de qualité et de durabilité. Celui qui acquiert un vélo français non seulement ferait un geste vertueux pour la planète, mais se poserait aussi en protecteur de l’emploi local et en apôtre de la sobriété, soucieux de ne pas importer des marchandises du bout du monde, dans des porte-conteneurs propulsés aux hydrocarbures.

    Plusieurs marques françaises jouent sur la localisation hexagonale de leur production, comme Mercier, qui vient d’annoncer son arrivée dans les Ardennes, ou l’usine de la Manufacture française du cycle située à Machecoul-Saint-Même (Loire-Atlantique).

    Elles espèrent profiter de la forte expansion du marché du vélo, constatée avant même la progression de l’usage observée en 2020. Jusqu’alors, le nombre de vélos vendus, 2,6 millions par an, évoluait peu, mais le chiffre d’affaires du secteur, 2,33 milliards d’euros en 2019, progresse de 13 % depuis 2017. Le prix moyen d’un vélo neuf atteignait, en 2019, selon l’Union sport & cycle, qui représente les intérêts du secteur, 566 euros, soit 245 euros de plus qu’en 2015.

    Cette hausse vertigineuse s’explique notamment par la part croissante du vélo à assistance électrique, qui constitue désormais 45 % des ventes en valeur. Pour autant, la part de la valeur créée en France, vélos et pièces confondus, ne dépasse pas le quart du chiffre d’affaires, selon une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), parue en 2020.

    Marché en forte tension

    Dès lors, dans un contexte de forte tension sur le marché, la course à la production de vélos « 100 % français » est lancée, bien aidé par les tarifs douaniers européens antidumping contre les vélos fabriqués par les groupes chinois, aujourd’hui tout-puissants sur le marché. L’opération est moins simple qu’il n’y paraît. Car l’objet vélo compte plusieurs centaines de composants, en métal, plastique, tissu, caoutchouc, sans oublier les batteries et l’électronique pour les modèles à assistance électrique.

    La plupart de ces pièces, à commencer par le cadre, généralement en acier ou en aluminium, sont fabriquées en Asie. Dès lors, les marques françaises ne « fabriquent » pas un vélo de A à Z, mais en conçoivent le design, avant de l’assembler dans leur usine, à l’aide de pièces importées auprès de plusieurs dizaines de fournisseurs. « Ce métier, assembleur, est parfois négligé. Mais il crée beaucoup de valeur ajoutée et contribue à la fondation d’un écosystème industriel », assure Stéphane Grégoire, qui lance sa marque, Reine Bike, en partenariat avec le constructeur Arcade, en Vendée.

    Même les marques qui bénéficient d’une renommée « made in France » doivent impérativement se fournir en Asie. C’est le cas de Moustache, qui a assemblé en 2020 pas moins de 50 000 vélos dans son usine des Vosges. La forte demande a conduit l’entreprise, depuis la fin de 2019, à agrandir de 50 % son unité de production et à embaucher 60 personnes.

    « Il faudrait inventer de nouvelles méthodes »

    Les choix logistiques illustrent « la complexité du métier, comme dit Grégory Sand, cofondateur de Moustache. Les cadres, guidons, garde-boue, systèmes de suspension sont fabriqués à Taïwan, où se concentre le savoir-faire au niveau mondial, mais sont conçus en France ». En revanche, l’entreprise tient à conserver un contrôle sur ses fournisseurs, en demeurant « propriétaire de l’outillage et des moules », pourtant installés à plus de 9 000 kilomètres.

    Le moment de relocaliser la production est-il venu ? « Avec la pandémie de Covid-19, les délais et les coûts de transport augmentent », argumente Jean Bataille, cofondateur de la société O2Feel, qui cherche à se fournir davantage en Europe et à assembler en France. Alors que 22 000 bicyclettes sont sorties, en 2020, d’usines localisées au Portugal ou à Taïwan, la marque ouvrira, en mars, une ligne d’assemblage à Wambrechies, dans la banlieue de Lille, où seront produits 8 000 vélos. Dix emplois seront créés.

    « La crise de croissance de l’industrie du cycle allonge considérablement les délais. Et certains fournisseurs en profitent pour augmenter les prix », regrette aussi Thomas Coulbeaut, cofondateur de Douze Cycles, qui propose des biporteurs appréciés des artisans qui se déplacent à vélo. L’entreprise, qui assemble à Dijon, « travaille sur un projet de relocalisation en Europe ». Mais cela implique de fabriquer des cadres, « et il faudrait inventer de nouvelles méthodes, de nouveaux matériaux », précise le fondateur.

    « Storytelling »

    C’est précisément le pari réussi, dans le très haut de gamme, par la marque Coleen, qui a commencé, à l’été 2020, la production de cadres en fibre de carbone à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). « Chaque pièce est fabriquée à la main, à raison de trente-cinq heures par vélo », déclare Audrey Lefort, présidente de Coleen, qui dirige une dizaine de salariés. Une partie non négligeable des autres composants, selles, batteries, écrans, est également produite dans la région, si bien que le produit fini, vendu près de 8 000 euros, « est fabriqué à 90 % en France », affirme la responsable.

    La marque Kiffy tente, elle aussi, de relever le défi. Deux industriels, un chaudronnier et un métallurgiste de la région de Saint-Etienne, se sont alliés, en 2015, pour construire des vélos-cargos à assistance électrique, conçus pour transporter des marchandises ou des enfants. S’appuyant sur les compétences industrielles du bassin d’emploi stéphanois, la marque a créé 800 vélos en 2020 et espère en sortir jusqu’à 1 400 par an. De nombreux composants viennent nécessairement d’ailleurs, comme les moteurs Bosch (Allemagne ou Hongrie), ou les freins Magura, fabriqués à Bad Urach, dans le Bade-Wurtemberg.

    Mais les concepteurs du Kiffy ont aussi sélectionné des fournisseurs locaux, « dans l’Ain pour l’éclairage, dans la Loire pour les jantes », précise Thibaud Vignali, directeur commercial de Easy Design Technology, la société qui a lancé la marque. Ces choix délibérés font partie du « storytelling » de la marque, admet-il, car « de plus en plus, les clients demandent où est fabriqué leur vélo-cargo ». La jeune société tient bon, malgré les tentations. « Tous les deux jours, nous recevons des propositions, d’Asie ou d’Europe, de fabricants qui voudraient faire nos vélos », reconnaît le responsable.

    « Amplifier la culture vélo »

    La perspective d’une « filière française du vélo » attise en tout cas les convoitises, y compris politiques. Deux députés, Matthieu Orphelin (Ecologie, démocratie, solidarité) et Guillaume Gouffier-Cha (La République en marche) entendent encourager les industriels. M. Orphelin évoque plusieurs pistes, comme « les exonérations de taxes », voire « la prise de participation dans le capital des sociétés, comme le font les pouvoirs publics dans l’aérien ou les chantiers navals ».

    Cette dernière proposition ne déclenche pas, pour l’heure, l’enthousiasme des constructeurs. En revanche, « les pouvoirs publics ont montré qu’ils pouvaient contribuer à amplifier la culture vélo, en développant des infrastructures, en facilitant la réparation ou en accélérant la formation aux métiers », rappelle Jérôme Valentin, président de Cycleurope, qui produit les marques Gitane ou Peugeot, et de l’Union sport et cycle.


    votre commentaire
  • Faire avancer la cause du vélo en centre-ville

     

    C'est le titre d'un article paru dans la Nouvelle République du 25 janvier à l'occasion de notre balade du 23.

     

    Faire avancer la cause du vélo en centre-ville


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique