• « La pratique du vélo peut refléter des inégalités, mais elle n’en est pas la cause »

    Une tribune parue dans Le Monde du 1er avril 2021.

    « La pratique du vélo peut refléter des inégalités, mais elle n’en est pas la cause »

     

    Si on trouve davantage de cyclistes en centre-ville qu’en périphérie, l’urbaniste Pamela Schwartz explique, dans une tribune au « Monde », que les aménagements cyclables ne sont responsables ni des fractures sociales ni des difficultés de logement dans les métropoles.

    Tribune. Dans une tribune publiée le 27 février dans Le Monde, le géographe Matthieu Adam soutient que les aménagements cyclables favorisent les divisions sociales et la gentrification des métropoles. Cette lecture est contestable. La pratique du vélo peut refléter des inégalités, mais n’en est pas la cause ; de même que les aménagements cyclables ne causent ni les fractures sociales ni les difficultés de logement dans les métropoles. Le vélo est une réponse pertinente aux problématiques urbaines (transports saturés, pollution de l’air, bruit, etc.) et sa pratique, en complément des transports en commun, doit s’étendre au profit de tous les habitants.

    Plusieurs arguments ont été avancés. D’une part, les aménagements pour le vélo seraient trop concentrés dans les quartiers centraux, où circule de fait le plus grand nombre de cyclistes. D’autre part, en apaisant l’espace public, ils seraient un facteur d’augmentation des prix de l’immobilier, parfois manié à dessein par les élus pour attirer des populations aisées.

    L’exemple décrit est celui de Lyon, où l’usage du vélo se développe rapidement, mais de façon resserrée dans les quartiers centraux de la « zone 30 Presqu’île » (de Perrache à la Croix-Rousse en passant par le Vieux Lyon).

    Tout d’abord, parler de gentrification pour ces quartiers aisés et centraux est paradoxal, puisque ce terme décrit une transformation des quartiers populaires. On ne peut pas reprocher simultanément aux aménagements cyclables de se limiter aux quartiers favorisés, et d’être des facteurs de gentrification.

    Un non-sens

    Plus fondamentalement, l’augmentation des prix de l’immobilier évinçant les plus fragiles n’est pas le résultat des aménagements cyclables, ni de l’amélioration du cadre de vie ou de la transition écologique comme on peut parfois l’entendre. Des prix élevés peuvent d’ailleurs s’observer dans des communes où le vélo et l’environnement sont le cadet des soucis des élus.

    Et pour cause, ces prix sont d’abord le résultat d’un phénomène économique : la carence de l’offre par rapport à la demande de logements, qui caractérise les zones tendues. Pour y faire face, il est nécessaire de mobiliser les outils de la politique du logement, dont certains sont spécifiquement adaptés aux métropoles : encadrement des loyers, régulation des plates-formes type Airbnb, bail réel solidaire, etc.

    En revanche, on ne peut pas se priver d’améliorer l’espace public par crainte que cela ait un impact sur les prix du logement. A suivre ce raisonnement, on en viendrait à promouvoir la dégradation des villes et de leur environnement en tant qu’outil pour réguler le marché du logement, un non-sens !

    Comment en faire profiter tous les quartiers

    Si on ne peut accuser les cycles de favoriser les inégalités en ville, il reste une difficulté finement décrite dans la tribune de Matthieu Adam dans Le Monde. Le vélo est effectivement utilisé dans les centres-villes davantage que dans les périphéries, et par un public plus favorisé que la moyenne. Face à ce constat, et puisque le vélo est un facteur d’amélioration du fonctionnement urbain, il faut se demander comment en faire profiter tous les quartiers.

    Les études de sociologie des sciences et techniques peuvent apporter un éclairage intéressant. Elles montrent que les objets que nous utilisons au quotidien ont une histoire sociale, faite de longs débats et de compromis entre les groupes utilisateurs.

     

     

    Cela a été le cas pour le vélo, depuis l’invention des premiers cycles au début du XIXe siècle jusqu’à sa très grande popularité à la Belle Epoque. Les sociologues Wiebe Bijker et Trevor Pinch (The Social Construction of Facts and Artefacts or how the Sociology of Science and the Sociology of Technology Might Benefit Each Other, 1984, Social Studies of Science, Vol. 14, No. 3, p. 399-441) ont montré qu’à ses débuts, la petite reine n’était utilisée que dans des groupes sociaux restreints, aristocrates puis sportifs. Ce n’est qu’au moment où les innovations techniques ont permis d’agréger les demandes de tous qu’elle s’est diffusée largement. Le vélo a alors atteint sa forme actuelle, qui combine des pneus avec chambre à air souhaités par les sportifs, des roues de taille égale pour la stabilité, une chaîne pour limiter l’effort, etc.

    Créer des pistes à l’échelle régionale

    Aujourd’hui, les difficultés techniques ne se situent plus dans l’objet, très simple d’utilisation, mais plutôt dans sa pratique urbaine. Les trajets à vélo soulèvent encore des défis fonctionnels : pistes cyclables de qualité, stationnement suffisant et bien situé, transition avec les autres modes de transport… C’est en apportant une réponse à ces contraintes, qui sont plus fortes pour certains utilisateurs, que la pratique continuera à se généraliser.

    Par exemple, le manque de continuité des pistes est plus marqué dans les périphéries. Cette discontinuité serait inconcevable pour les autres modes de transport, comme si des rues ou des rails s’interrompaient soudainement devant certains obstacles. Créer des pistes à l’échelle régionale disposant d’une visibilité, d’une continuité et d’un entretien similaires aux lignes de transport est indispensable pour faciliter l’usage du vélo hors des centres-villes. C’est le but du projet de RER-Vélo dans la région Ile-de-France par exemple.

    Pour en faire un outil adapté aux longues distances, il faut simplifier les trajets associant vélo et transports en commun. Il est donc important de développer des espaces de stationnement sécurisés près des gares, comme les récentes vélos-stations des gares de Lyon et de Montparnasse à Paris. Ces parkings à vélos doivent se généraliser, être situés près des quais et devenir accessibles sans abonnement.

    Il faut continuer à adapter l’espace urbain à la pratique du vélo, sans confondre cette problématique avec celle des inégalités et du logement pour lesquelles il existe des outils spécifiques.

     


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