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Le vélo bouleverse nos villes
Deux pages concernant l'usage du vélo en ville, parues dans Le Monde du 30 mars 2021.
Comment la révolution de la bicyclette bouleverse les villes françaises
Si les investisseurs s’intéressent à ce moyen de transport dopé par les dernières grèves et le Covid-19 , une « vélorution » ne serait toutefois pas sans conséquence, économique et sociétale, sur un pays façonné par la voiture depuis l’après-guerre.
La vidéo, diffusée depuis mi-décembre sur le Net, emprunte tous les superlatifs de la publicité automobile. Sur fond de musique grandiose et d’images au ralenti, « la boîte de vitesse automatique intégrée » et le moteur électrique « qui s’adapte à la conduite » vont bouleverser vos vies, promet l’homme en chemise bleu ciel, pantalon cintré et sourire insolent.
Mais cette « première mondiale » vendue par le directeur de la stratégie de Valeo, numéro deux en France de l’équipement automobile, n’est cette fois pas destinée aux constructeurs. C’est sur le vélo à assistance électrique (VAE) dont le marché, croit-il savoir, « va être multiplié par quinze dans les dix prochaines années », que le groupe dit vouloir miser.
Cet hiver, quand le groupe financier Bruxelles Lambert devenait l’actionnaire majoritaire du fabricant allemand Canyon, un fonds d’investissement luxembourgeois prospectait pour racheter une marque française dans l’univers de la bicyclette. Début mars, Porsche lançait deux vélos très haut de gamme quand, en France, les acteurs de la grande distribution bataillaient pour inaugurer leur atelier cycle à l’entrée des supermarchés.
« Eviter la fuite des citadins »
Effet d’aubaine ou véritable stratégie, l’avenir le dira. Mais si les investisseurs et les grands groupes persistent à s’intéresser à ce moyen de transport dopé par les dernières grèves et la pandémie, il est permis d’imaginer que la France pourrait devenir cette « nation du vélo » qu’Elisabeth Borne, alors ministre de l’écologie, appelait de ses vœux en mai 2020.
Cette « vélorution », comme la surnomment ses partisans, ne serait toutefois pas sans conséquence sur un pays façonné par la voiture depuis l’après-guerre. L’aménagement des territoires, les habitudes de vie, mais aussi l’organisation de pans entiers de l’économie qui reposent sur l’usage de l’automobile seraient profondément modifiés. « Créer des endroits agréables en ville, avec moins de bruit, plus d’espaces verts, est aussi le moyen d’éviter la fuite des citadins à la campagne », note Audrey de Nazelle, chercheuse en santé publique à l’Imperial College de Londres.
Depuis un an, le renforcement spectaculaire du réseau cyclable a entraîné une forte progression de la pratique. En 2020, hors périodes de confinement, « les comptages ont enregistré une hausse de 27 %, aussi bien en milieu urbain qu’à la campagne », note Camille Thomé, directrice de l’association d’élus Vélo & territoires. Si l’on applique cette évolution aux chiffres issus des recensements de l’Insee, la proportion des trajets effectués à vélo approcherait désormais les 4 %.
Bien sûr, la France est encore largement distancée par l’Allemagne où, dès 2014, selon la Commission européenne, le vélo constituait le principal mode de déplacement pour 12% des personnes, un chiffre encore plus élevé au Danemark (24 %) et aux Pays-Bas (36 %). Et les objectifs affichés, en 2018, par le premier ministre, Edouard Philippe, 9 % de trajets quotidiens en 2024, semblent lointains. « Cela exigerait une augmentation de 35 % de la pratique chaque année, soit encore plus qu’en 2020 », relève le chercheur Sébastien Marrec, rattaché à l’université de Rennes.
Recruter d’autres publics que celui des centres-villes, autrement dit des habitants de banlieues, de villes moyennes et de territoires périurbains et ruraux, là où la voiture individuelle est encore reine, est précisément l’objectif de la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), dont le président, Olivier Schneider, s’est imposé comme conseiller officieux de la ministre de la transition écologique.
La FUB a aussi imaginé une « Académie des mobilités actives » pour assister les aménageurs. L’instance doit former urbanistes, architectes, services techniques pour que le vélo et la marche soient intégrés dans l’ensemble des politiques publiques. En parallèle, l’agence de la transition écologique accompagne des élus comme ceux du parc naturel régional de Chartreuse, qui cherchent à réduire le flot quotidien des voitures vers Grenoble et Chambéry.
Les recettes sont désormais connues : itinéraires continus, passerelles lancées au-dessus des cours d’eau, des voies ferrées ou des autoroutes, nouveaux plans de circulation. Le coût de ces infrastructures, qui serviraient à tous, implique des dépenses publiques de 30 euros par an et par habitant pendant plusieurs années, selon une étude publiée en 2020 sur l’impact économique et le potentiel des usages du vélo en France.
« On n’en est plus très loin », assure Nicolas Mercat, coauteur de ce rapport et maire (DVG) du Bourget-du-Lac, en Savoie. Parmi les vingt-huit maires de l’agglomération Grand Lac, « plus un seul ne considère que les aménagements cyclables ne servent à rien », constate-t-il, et les investissements de l’agglomération devraient atteindre « 20 euros par an et par habitant ». Dans les territoires périurbains, ce n’est pas tant le budget qui manque qu’une logique à inverser. Tant que les documents d’urbanisme prévoient « des stationnements à moins de 100 mètres des entreprises, l’usage de la voiture est mécaniquement facilité », estime M. Mercat.
« Une option possible »
A Massy (Essonne), un de ces territoires des années 1960 pensés par et pour l’automobile, le maire (UDI), Nicolas Samsoen, effectue des trajets avec des chefs d’entreprise pour leur montrer « que le vélo est une option possible ». Mais les habitudes changeront vraiment lorsque, d’ici dix ans, espère t-il, la ville bénéficiera d’une nouvelle ligne de métro et d’un RER solide et fiable.
La complémentarité entre le vélo et les transports en commun est l’une des clés du modèle nord-européen. Mais il ne consiste pas à emporter le vélo dans le train, précise l’économiste Frédéric Héran dans son essai prospectif Le Retour de la bicyclette (La Découverte, 2014). Certes, « le vélo embarqué (…) est une solution attrayante », mais dans les faits, « le cycliste n’est pas sûr de trouver une place », et pour le transporteur, c’est du retard à l’embarquement et des rames encombrées.
Aux Pays-Bas, « les chemins de fer proposent des parkings sécurisés à moins de 50 mètres des voies », note Frédéric François, du Collectif bicyclette Bretagne. « Les utilisateurs récupèrent leur deuxième vélo à l’arrivée, ou en louent un auprès d’OV Fiets, une filiale des chemins de fer néerlandais ». Ce système a été exporté avec succès en Belgique. Pourquoi ne pas le répliquer entre Rennes et Saint-Brieuc, deux des quatre gares les plus fréquentées de la région, a suggéré le collectif breton aux candidats aux élections régionales. En Ile-de-France, l’arrivée du Grand Paris Express, le métro à 35 milliards d’euros, pourrait accélérer la tendance.
Multiplication des décideurs
Mais une telle réorganisation implique un changement de logique. Il faut libérer suffisamment d’espace à proximité immédiate des gares, au détriment des commerces, des bureaux ou du stationnement automobile. Et donc convaincre les collectivités et Gares & Connexions, la filiale de la SNCF, de renoncer à des parcelles qui se louent ou se concèdent à prix d’or et dont les rentes servent à entretenir et rénover le bâti.
La multiplication des décideurs ralentit aussi la réalisation. A Chambéry, entre la conception d’un projet de parking à 20 mètres de la gare et son inauguration, en 2018, treize années ont passé. Et la vélostation (450 places) est « aujourd’hui presque saturée », signale Emmanuel Roche, chargé de la politique cyclable de l’agglomération. A Paris, la fréquentation de la gare du Nord nécessiterait « 20 000 places de stationnement », assure le chercheur Sébastien Marrec. Les plans de la rénovation en comptent 6 000. « Il n’y a pas grand monde qui soit capable d’anticiper ce que signifie un univers à 10 % ou 15 % de part modale [répartition des déplacements entre les différents moyens de transport]», constate-t-il.
Le vélo colle à l’envie de proximité que la crise sanitaire est venue renforcer. Cela vaut aussi pour les quartiers pavillonnaires où les urbanistes, obnubilés par le concept de « ville du quart d’heure », appellent à recréer des centres autour de commerces et de rues apaisées. Ce mouvement conduira à « une rétraction des zones de chalandise », estime David Lestoux, qui conseille les collectivités, car « on ne parcourt plus si souvent 40 kilomètres pour un achat ».
L’avenir de la cyclo-logistique
Les habitudes de consommation changent aussi. Le ravitaillement du samedi n’est plus la norme. Place aux courses fragmentées et aux commandes en ligne. Cela produit des effets inattendus. « Plus les gens se déplacent à vélo dans une ville, plus la demande en livraisons alimentaires est importante. Mais celle-ci mobilise des véhicules thermiques », explique David Lestoux. En pleine croissance, le secteur de la cyclo-logistique, avec ses vélo-cargos susceptibles de transporter de lourdes charges, a de l’avenir.
Est-ce pour autant le déclin de l’hypermarché de périphérie des années 1970 ? Rien n’est moins sûr. D’abord, parce que l’étalement urbain a rattrapé ces mastodontes. Bâti en 1985 sur des marais asséchés, le complexe commercial de Bordeaux Lac se trouve aujourd’hui en pleine ville. Et sa première zone de chalandise « n’excède pas les 5 km une distance convenable à vélo, et plus facilement réalisable en vélo à assistance électrique (VAE) », assure Georges Carcanis, urbaniste chez Nhood France, le nouvel opérateur d’immobilier mixte détenu par la famille Mulliez.
Il ne faut pas sous-estimer non plus la capacité d’adaptation de ces groupes. « En Allemagne, Lidl devient opérateur en habitat et construit des logements au-dessus des supermarchés », note David Lestoux. A Nantes, dans le quartier de la Beaujoire, Carrefour s’allie à la foncière immobilière Altarea-Cogedim pour concevoir un ensemble d’habitation à proximité de son hypermarché. « L’essor du vélo accélérera cette demande », assure le consultant.
Transmettre le goût du vélo
La grande distribution surfe sur la tendance. Dans le Nord, le centre commercial Promenade de Flandre, inauguré en 2017 au nord de Tourcoing (10 millions de visiteurs par an dont 93 % arrivent en voiture) imagine « un boulevard urbain et nature ». Une manière d’attirer les cyclistes, mais aussi de verdir l’image de ce site hors norme. Chez Monoprix, la direction innovation envisage la création de « drive cyclistes ».
Une ville qui fait la part belle aux modes actifs devient plus apaisée, mais aussi plus bourgeoise. « Inévitablement, les prix de l’immobilier grimpent. De nouveaux commerces s’installent, souvent du bio, du vrac, et les prix qui vont avec. Certains habitants sont contraints de partir », alerte la chercheuse Audrey de Nazelle, qui appelle à intégrer dans les politiques « un système pour ne pas exclure les gens défavorisés ». Dans les quartiers populaires, les associations s’efforcent de transmettre le goût du vélo.
Et la voiture, dans tout ça ? La bicyclette est-elle réellement cette menace pour l’industrie automobile que sous-entendait, en septembre 2020, Carlos Tavares, le PDG de PSA, en fustigeant « un lobby anti-automobile hyperpuissant » ? « Le marché de la voiture subit une déprime, mais celle-ci ne doit pas grand-chose au vélo », nuance l’économiste des transports et président du think tank de l’Union routière de France, Yves Crozet. « L’équipement, comme le trafic, sont parvenus à un plafond ».
L’économie de l’autopartage
FeuVert et Norauto ont anticipé le mouvement en vendant des « VAE d’entrée de gamme », note l’étude sur l’impact économique du vélo. A l’avenir, il est « très probable » que le passage à la voiture électrique, « qui demande beaucoup moins de maintenance », pousse les ateliers à se développer autour du VAE. Et l’heure de l’économie de l’autopartage, annoncée depuis dix ans, est peut-être enfin venue.
Frappé durement par la crise, le tourisme pourrait, lui aussi, être bousculé par la bicyclette. « Les clients recherchent des séjours actifs, de plein air, à l’écart des flux touristiques », constate Véronique Brizon, directrice d’ADN Tourisme, la fédération des institutionnels du secteur. « Le vélo répond à tout cela », même si les aménagements nécessaires à ces nouveaux vacanciers, risquent, là encore, de prendre un espace jusqu’alors dévolu aux motorisés.
L’exemple du Mont-Saint-Michel a de quoi rassurer. Depuis 2015, autocars, voitures et camping-cars sont relégués à plus de trois kilomètres, et l’abbaye n’est accessible qu’en navette, à vélo ou à pied. Après avoir enregistré une baisse de fréquentation, le site a affiché une hausse de 6 % en 2019 avec près de 1,5 million de visiteurs et devenait le deuxième monument le plus visité de France, derrière l’Arc de triomphe.
« Il faudrait remplacer des trajets longs en voiture par des trajets courts à vélo »
Si la pratique du vélo a gagné du terrain en 2020, le potentiel maximal est loin d’être atteint, analyse le chercheur Aurélien Bigo.
Aurélien Bigo, chercheur associé à la chaire « énergie et prospérité », est l’auteur d’une thèse publiée en 2020, consacrée aux « transports face au défi de la transition énergétique ».
Jusqu’où peut aller la pratique du vélo en France ?
Début 2020, en France, chaque personne effectuait en moyenne 100 kilomètres à vélo par an, soit 300 mètres par jour, ce qui représente 0,6 % de la totalité des kilomètres parcourus. La pratique est environ dix fois moins élevée qu’aux Pays-Bas, ce qui illustre les marges de progression. En 2020, le vélo a beaucoup gagné, mais, même à Strasbourg, Grenoble ou Bordeaux, le potentiel maximal n’est pas atteint. Sans parler des bourgades de 3 000 habitants où chacun prend sa voiture pour tous les trajets.
Comment cela s’explique-t-il ?
Dans ces endroits, il n’existe aucune infrastructure, aucun stationnement spécifique pour le vélo, aucun réparateur. Personne n’a envie, ni même l’idée de pédaler. Même les adeptes du cyclisme sportif ne choisissent pas le vélo pour se déplacer. En France, selon l’Insee, 42 % des personnes qui travaillent à moins d’un kilomètre de chez eux s’y rendent en voiture.
Si la France pédalait comme les Pays-Bas, cela suffirait-il à faire baisser les émissions de CO2 ?
Non. Si les distances parcourues à vélo étaient multipliées par dix, cela n’entraînerait qu’une baisse de 6 % des gaz à effet de serre dus à la mobilité.
Alors, comment fait-on ?
Depuis deux cents ans, de manière constante, chaque personne effectue trois à quatre trajets par jour, tous modes de transport confondus, et y consacre une heure en moyenne. Or, la voiture a multiplié par dix la vitesse et les kilomètres parcourus. Il faudrait réduire les distances, remplacer des trajets longs en voiture par des trajets courts à vélo. En privilégiant les courses à proximité plutôt que les achats lointains, les gens ont accès aux mêmes biens, mais en parcourant moins de kilomètres. Ces changements de comportement supposent de délaisser le système de mobilité structuré autour de la voiture toute puissante et rapide. Cela nécessite une allocation différente des subventions à la mobilité, ainsi qu’une restructuration de l’espace, au profit du vélo et au détriment des modes motorisés. La période que nous vivons y contribue peut-être.
Peut-on miser sur de nouveaux modes de transport ?
Oui, à commencer par le vélo à assistance électrique, dont 50 à 70 % des nouveaux utilisateurs se déplaçaient jusqu’alors en voiture. Il existe aussi des engins intermédiaires qui roulent plus vite qu’un vélo et transportent des charges, sans consommer autant d’énergie ni occuper autant d’espace qu’une voiture. C’est le cas du vélomobile, recouvert d’un carénage qui lui confère un certain aérodynamisme. L’objet est encore peu connu. Pour créer l’offre et accroître sa visibilité, un exécutif régional pourrait en proposer, dans un premier temps, une cinquantaine à louer.
Le vélo et ses avatars ont donc vocation à remplacer la voiture ?
Pas pour tous les usages, mais, dans bien des cas, oui. Même pour les longues distances, le vélo, allié au train, est concurrentiel.
Mais que deviendra l’industrie automobile ?
L’industrie va être fortement touchée par le virage vers la voiture électrique, moins intense en main-d’œuvre. Les relocalisations, les services d’autopartage, ainsi que les modes intermédiaires évoqués plus haut, présentent des occasions de créations d’emplois. Ainsi, les constructeurs automobiles font partie des rares acteurs disposant d’une force de frappe suffisante pour produire des vélomobiles à grande échelle.
A Saint-Denis, la difficulté de rendre le vélo accessible à tous
Le local de la Maison du vélo, à Saint-Denis, en juin 2015.
A la Maison du vélo, pour une adhésion annuelle de 20 euros, les Dionysiens apprennent à réparer une roue ou ajuster un dérailleur. Une façon de développer la pratique et de résinsérer des personnes loin de l’emploi.
Les douze hommes et femmes qui expliquent comment réparer une roue crevée et ajuster un dérailleur n’étaient pas forcément des adeptes de la bicyclette lorsque les hasards d’une vie chaotique leur ont offert une place d’un an à la Maison du vélo, à Saint-Denis, dans le nord de Paris. Très vite, la plupart le sont devenus. Et surtout, avec la petite équipe qui les encadre, ils sont parmi les mieux placés pour parler du potentiel de développement de la bicyclette dans les quartiers populaires. De ses freins aussi.
Le lieu, ni un magasin ni un atelier mais tout cela à la fois, donne sur la rue Gabriel-Péri, d’où on entend siffler les guetteurs de la cité voisine. Lorsque l’association Etudes et Chantiers Ile-de-France s’y installe, en 2015, l’idée est de réinsérer des personnes loin de l’emploi, mais aussi de rendre le vélo « accessible à une population pour laquelle il n’est pas forcément une évidence », explique Elsa Weber, chargée de communication de l’association. L’expérience, initiée aux Ulis, dans l’Essonne, a été étendue à d’autres quartiers prioritaires de la région.
En échange d’une adhésion annuelle de 20 euros, les familles peuvent s’offrir un vélo récupéré à la déchetterie, dans les caves des immeubles – une moyenne de 200 par an – et que les salariés ont remis en état. Comptez 65 euros, maximum, pour un cadre adulte. Dix euros pour le modèle enfant. La carte donne aussi accès aux ateliers d’autoréparation.
Quelque 300 familles se sont laissé convaincre. « Nous sommes dans un quartier où les gens sont éloignés de tout », explique Redouane Bernaz, encadrant technique. « Parfois, les parents viennent chercher un vélo pour leur enfant, et ils commencent à regarder, posent des questions. Il y a encore des barrières culturelles, mais on leur ouvre le champ des possibles. »
Initiation à la mécanique
Ici, les adultes, et notamment les femmes, sont plus nombreux qu’ailleurs à ne pas avoir appris à pédaler étant jeune. C’est l’une des raisons pour laquelle l’équipe a voulu importer de Belgique le projet « Un vélo pour 10 ans » dont le principe consiste à permettre à un enfant, dès 3 ans, de recevoir un premier vélo puis de l’échanger gratuitement à mesure qu’il grandit. Au passage, chaque retour à l’atelier donne lieu à une initiation à la mécanique.
Mais la bonne idée belge n’a pas encore connu tout le succès escompté à Saint-Denis. En quatre ans, sur les 80 filles et garçons sélectionnés pour recevoir un premier vélo, seule une vingtaine est passée au second modèle. Et aucun, pour le moment, au troisième.
« Je relance régulièrement les familles pour savoir si le vélo n’est pas trop petit, mais c’est compliqué de les faire revenir. Elles sont méfiantes, ont peur qu’on leur reprenne. D’autres ont changé de numéro ou sont parties », explique Louise Laigroz, chargée de projet. Pour autant, elle projette de distribuer 40 nouveaux vélos cette année, et de dupliquer l’opération porte de Vanves, dans le sud de Paris.
L’équipe anime aussi souvent des ateliers mécaniques ou de « remise en selle » au pied des immeubles. A l’âge de l’école élémentaire, les filles sont aussi nombreuses que les garçons à vouloir s’entraîner à changer une chambre à air. Au collège, les trop nombreux préjugés tiennent encore les adolescentes à l’écart.
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