• Le vélo « made in France », une lente renaissance

    Un article paru dans Le Monde daté des 14 et 15 février 2021.

     

    Le succès grandissant de la bicyclette, électrique ou non, pousse certains fabricants à relocaliser une partie de leur production dans l’Hexagone ou en Europe.

    Par Olivier Razemon

     

    Le vélo « made in France », une lente renaissance

    Chaîne d’assemblage de la Manufacture française du cycle, à Machecoul-Saint-Même (Loire-Atlantique), le 18 mai 2020.

    JEAN CLAUDE MOSCHETTI / REA

     

    « Vélo fabriqué en France » : voici une promesse séduisante, gage de proximité, de qualité et de durabilité. Celui qui acquiert un vélo français non seulement ferait un geste vertueux pour la planète, mais se poserait aussi en protecteur de l’emploi local et en apôtre de la sobriété, soucieux de ne pas importer des marchandises du bout du monde, dans des porte-conteneurs propulsés aux hydrocarbures.

    Plusieurs marques françaises jouent sur la localisation hexagonale de leur production, comme Mercier, qui vient d’annoncer son arrivée dans les Ardennes, ou l’usine de la Manufacture française du cycle située à Machecoul-Saint-Même (Loire-Atlantique).

    Elles espèrent profiter de la forte expansion du marché du vélo, constatée avant même la progression de l’usage observée en 2020. Jusqu’alors, le nombre de vélos vendus, 2,6 millions par an, évoluait peu, mais le chiffre d’affaires du secteur, 2,33 milliards d’euros en 2019, progresse de 13 % depuis 2017. Le prix moyen d’un vélo neuf atteignait, en 2019, selon l’Union sport & cycle, qui représente les intérêts du secteur, 566 euros, soit 245 euros de plus qu’en 2015.

    Cette hausse vertigineuse s’explique notamment par la part croissante du vélo à assistance électrique, qui constitue désormais 45 % des ventes en valeur. Pour autant, la part de la valeur créée en France, vélos et pièces confondus, ne dépasse pas le quart du chiffre d’affaires, selon une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), parue en 2020.

    Marché en forte tension

    Dès lors, dans un contexte de forte tension sur le marché, la course à la production de vélos « 100 % français » est lancée, bien aidé par les tarifs douaniers européens antidumping contre les vélos fabriqués par les groupes chinois, aujourd’hui tout-puissants sur le marché. L’opération est moins simple qu’il n’y paraît. Car l’objet vélo compte plusieurs centaines de composants, en métal, plastique, tissu, caoutchouc, sans oublier les batteries et l’électronique pour les modèles à assistance électrique.

    La plupart de ces pièces, à commencer par le cadre, généralement en acier ou en aluminium, sont fabriquées en Asie. Dès lors, les marques françaises ne « fabriquent » pas un vélo de A à Z, mais en conçoivent le design, avant de l’assembler dans leur usine, à l’aide de pièces importées auprès de plusieurs dizaines de fournisseurs. « Ce métier, assembleur, est parfois négligé. Mais il crée beaucoup de valeur ajoutée et contribue à la fondation d’un écosystème industriel », assure Stéphane Grégoire, qui lance sa marque, Reine Bike, en partenariat avec le constructeur Arcade, en Vendée.

    Même les marques qui bénéficient d’une renommée « made in France » doivent impérativement se fournir en Asie. C’est le cas de Moustache, qui a assemblé en 2020 pas moins de 50 000 vélos dans son usine des Vosges. La forte demande a conduit l’entreprise, depuis la fin de 2019, à agrandir de 50 % son unité de production et à embaucher 60 personnes.

    « Il faudrait inventer de nouvelles méthodes »

    Les choix logistiques illustrent « la complexité du métier, comme dit Grégory Sand, cofondateur de Moustache. Les cadres, guidons, garde-boue, systèmes de suspension sont fabriqués à Taïwan, où se concentre le savoir-faire au niveau mondial, mais sont conçus en France ». En revanche, l’entreprise tient à conserver un contrôle sur ses fournisseurs, en demeurant « propriétaire de l’outillage et des moules », pourtant installés à plus de 9 000 kilomètres.

    Le moment de relocaliser la production est-il venu ? « Avec la pandémie de Covid-19, les délais et les coûts de transport augmentent », argumente Jean Bataille, cofondateur de la société O2Feel, qui cherche à se fournir davantage en Europe et à assembler en France. Alors que 22 000 bicyclettes sont sorties, en 2020, d’usines localisées au Portugal ou à Taïwan, la marque ouvrira, en mars, une ligne d’assemblage à Wambrechies, dans la banlieue de Lille, où seront produits 8 000 vélos. Dix emplois seront créés.

    « La crise de croissance de l’industrie du cycle allonge considérablement les délais. Et certains fournisseurs en profitent pour augmenter les prix », regrette aussi Thomas Coulbeaut, cofondateur de Douze Cycles, qui propose des biporteurs appréciés des artisans qui se déplacent à vélo. L’entreprise, qui assemble à Dijon, « travaille sur un projet de relocalisation en Europe ». Mais cela implique de fabriquer des cadres, « et il faudrait inventer de nouvelles méthodes, de nouveaux matériaux », précise le fondateur.

    « Storytelling »

    C’est précisément le pari réussi, dans le très haut de gamme, par la marque Coleen, qui a commencé, à l’été 2020, la production de cadres en fibre de carbone à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques). « Chaque pièce est fabriquée à la main, à raison de trente-cinq heures par vélo », déclare Audrey Lefort, présidente de Coleen, qui dirige une dizaine de salariés. Une partie non négligeable des autres composants, selles, batteries, écrans, est également produite dans la région, si bien que le produit fini, vendu près de 8 000 euros, « est fabriqué à 90 % en France », affirme la responsable.

    La marque Kiffy tente, elle aussi, de relever le défi. Deux industriels, un chaudronnier et un métallurgiste de la région de Saint-Etienne, se sont alliés, en 2015, pour construire des vélos-cargos à assistance électrique, conçus pour transporter des marchandises ou des enfants. S’appuyant sur les compétences industrielles du bassin d’emploi stéphanois, la marque a créé 800 vélos en 2020 et espère en sortir jusqu’à 1 400 par an. De nombreux composants viennent nécessairement d’ailleurs, comme les moteurs Bosch (Allemagne ou Hongrie), ou les freins Magura, fabriqués à Bad Urach, dans le Bade-Wurtemberg.

    Mais les concepteurs du Kiffy ont aussi sélectionné des fournisseurs locaux, « dans l’Ain pour l’éclairage, dans la Loire pour les jantes », précise Thibaud Vignali, directeur commercial de Easy Design Technology, la société qui a lancé la marque. Ces choix délibérés font partie du « storytelling » de la marque, admet-il, car « de plus en plus, les clients demandent où est fabriqué leur vélo-cargo ». La jeune société tient bon, malgré les tentations. « Tous les deux jours, nous recevons des propositions, d’Asie ou d’Europe, de fabricants qui voudraient faire nos vélos », reconnaît le responsable.

    « Amplifier la culture vélo »

    La perspective d’une « filière française du vélo » attise en tout cas les convoitises, y compris politiques. Deux députés, Matthieu Orphelin (Ecologie, démocratie, solidarité) et Guillaume Gouffier-Cha (La République en marche) entendent encourager les industriels. M. Orphelin évoque plusieurs pistes, comme « les exonérations de taxes », voire « la prise de participation dans le capital des sociétés, comme le font les pouvoirs publics dans l’aérien ou les chantiers navals ».

    Cette dernière proposition ne déclenche pas, pour l’heure, l’enthousiasme des constructeurs. En revanche, « les pouvoirs publics ont montré qu’ils pouvaient contribuer à amplifier la culture vélo, en développant des infrastructures, en facilitant la réparation ou en accélérant la formation aux métiers », rappelle Jérôme Valentin, président de Cycleurope, qui produit les marques Gitane ou Peugeot, et de l’Union sport et cycle.


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