• Didier Tronchet : « Les vertus pacifiques du vélo de curé ont été perverties par la volonté de conquête »

    Diplômé de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, Didier Tronchet a choisi la bande dessinée d’humour et s’est fait connaître par ses séries « Raymond Calbuth » et « Jean-Claude Tergal » avant de revenir au reportage, toujours en BD pour la revue « XXI ». Il s’oriente vers le roman graphique (« Le Chanteur perdu ») et vient de publier le « Petit Traité de vélosophie » en bande dessinée (Ed. Delcourt).

     

    Série « Roue libre » (5/5). Le dessinateur de BD, connu pour ses séries d’humour noir, est aussi un passionné de vélo, auteur d’un « Petit Traité de vélosophie ». Il dénonce la nouvelle génération des fous du guidon qui sème la terreur dans les villes.

     

    Je fais partie de la génération héroïque qui a dû inventer le vélo à Paris. Je le dis sans modestie, car nous n’avions pas le choix. A l’époque, rien n’avait été prévu pour le deux-roues dans la jungle automobile, il nous fallait créer de toutes pièces notre géographie urbaine. Elle passait par les trottoirs, franchissait vite les feux rouges pour ne pas être dévoré par la meute hurlante, remontait les sens interdits en slalomant entre les véhicules mal garés… Pour les voitures, nous étions au mieux une quantité négligeable, au pire une cible. Bref, l’aube de l’humanité cycliste.

     

    Il y avait un certain panache à tenter la traversée de la ville sur nos frêles bicycles et quand nous croisions un frère de pédale, nous nous considérions comme des survivants. Rebelles face à la toute-puissance automobile alors au sommet de sa gloire que nous défiions du dérisoire « dring dring » de nos sonnettes aigrelettes. Mais convaincus que l’Arc de notre triomphe se profilerait un jour devant nos pneus demi-boyaux.

     

    « Interdits sauf vélos »

     

    Il est rare que les combats du pot de terre contre le pot de fer carrossé soient victorieux. Et pourtant celui-ci le fut : un jour on déroula sous nos roues des pistes bituminées et fleuries, les panneaux de sens interdit furent sous-titrés de la mention invraisemblable « Interdit sauf vélos »… Le cycliste devint le nouveau champion de la chaussée, tandis que l’automobiliste honni subissait la vindicte, en sa qualité d’empoisonneur d’atmosphère. Quel fantastique revirement !

     

    La rébellion n’était plus de mise. Il nous a alors fallu rentrer dans le rang, devenir « bons gagnants », adopter une forme de citoyenneté sur roues, une philosophie cyclopède soucieuse de la solidarité et du partage, dans une ville libérée de la violence routière. Là sans doute est né « l’esprit vélo », code de la « chevalerie pédaleuse » mûri à notre insu sur nos montures pionnières.

    C’est alors qu’ont déboulé – c’est le mot – les Vélib’… Et sur leur selle quantité de néophytes de la chose cycliste, circulant de manière erratique au mépris de la règle commune, quand bien même ce n’était plus nécessaire. On a vu apparaître en même temps des vélos maquillés en bolides faisant perdurer le désir de compétition, resurgir la virilité qui fit longtemps vrombir les moteurs sous le capot. C’est désormais à qui terrorisera le plus de piétons des voies sur berge, circulera en prédateur arrogant, tenue fluo, lunettes et oreillettes, coupé du monde. Les vertus pacifiques du vélo de curé ont été perverties par la volonté de conquête.

    Rouler en ville n’est pas un combat de cerfs ni un concours d’anatomie masculine dans une cour de récréation. C’est même exactement l’inverse : la bicyclette, dans sa modestie mécanique, est la recherche de la lenteur qui finalement va plus vite, la grâce en mouvement et la fluidité de l’esprit qui vole.


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