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Cyclotourisme : l’été où les Français ont roulé
Le tourisme à vélo a été plébiscité cette année par les Français, poussés par le désir de nature et l’essor de l’électrique. Ce qui n’était qu’une niche devient, par endroits, une véritable économie.
Outre des vitraux prodigieux, la cathédrale de Chartres a une chose que d’autres joyaux de l’architecture gothique n’ont pas. Discrets, dans les recoins du parvis, ne prétendant à rien, voici quatre ensembles d’arceaux d’une capacité totale de 60 vélos, permettant aux touristes pédalants de venir y trouver le frais, le courage, ou même la rédemption lorsqu’ils s’aident d’un moteur électrique. Un signe de la prise en compte de l’essor de cette forme de tourisme qui connut un succès épatant cet été.
Chartres est une étape sur l’un des 21 grands itinéraires cyclables qui sillonnent la France : la Véloscénie, rejoignant Paris et le Mont-Saint-Michel par une voie non pas directe mais propice à la balade cycliste – pistes cyclables, mais surtout routes départementales sans difficulté et boudées des automobilistes. Cet été, la Véloscénie, inaugurée en 2013, a connu une hausse de sa fréquentation de 29 % par rapport à 2019.
Croyons ces chiffres sur parole puisqu’un lundi de septembre, sous un soleil d’août, on vit plus de camionnettes de La Poste (deux) que de cyclotouristes (zéro) entre Chartres et Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir). On apprit à nos dépens que le lundi doit, comme sur le Tour de France, faire office de jour de repos du cyclotouriste, puisque commerces et lieux d’hébergement sont, pour la plupart, fermés. Le label Accueil Vélo, décerné aux 4 000 établissements proposant des aménagements aux cyclistes et à leurs montures, n’impose cependant pas d’ouvrir sept jours sur sept et à toute heure. Une barquette de frites surgelées arrosée d’un soda prend alors des airs de festin ; l’épopée dans la simplicité.
« Un océan de possibilités »
Les Français n’ont jamais été aussi nombreux à pratiquer ce tourisme par essence local et sans diesel. Selon le décompte de l’association Vélos & territoires, un réseau de collectivités, la fréquentation des dix voies Eurovélo traversant la France a augmenté de 24 % cette année, hors période de confinement. La hausse est comparable à celle du cyclisme urbain. Et ce, alors même que les étrangers, qui représentent d’ordinaire un cyclotouriste sur cinq en France, furent peu nombreux.
Du jeune sans le sou qui bivouaque au groupe de patrons américains qui enchaîne cols et restaurants étoilés, en passant par les familles propulsées sur vélo à assistance électrique (VAE) ou les couples séjournant en chambre d’hôtes, le paysage des cyclotouristes est bigarré. Il y a Aurélien Trachez, 24 ans, salarié dans l’humanitaire, qui noue des amitiés chaque soir autour de la tente. Olivier Poignard, consultant en marketing de 32 ans, qui a découvert « un océan de possibilités » en convertissant sa femme au VAE dans l’Anjou. Ingrid Miralles, conseillère Pôle emploi de 45 ans, qui traverse le Massif central à l’écart des voies vertes trop fréquentées et aime « ne pas savoir où [elle] va dormir le soir ». Philippe Puybareau, ingénieur commercial de 58 ans, qui improvise le long de la Corrèze avec femme et (grand) enfant. Ils n’ont pas grand-chose en commun mais font le même retour d’expérience : davantage de rencontres et de surprises sur la route. L’intérêt du tourisme n’est plus dans la destination mais dans le voyage en soi.
L’industrie touristique a mis du temps à saisir l’intérêt de ces clients qui prennent de la place, ont parfois des demandes baroques – un petit-déjeuner roboratif et une lessive dans la nuit – et étaient réputés moins dépensiers : s’ils voyageaient à vélo, c’est forcément qu’ils ne pouvaient faire autrement. Ces dernières années, le regard des hébergeurs change en même temps que le profil des cyclotouristes. Selon une étude publiée par l’Ademe, l’Agence de la transition écologique, en avril, un touriste à vélo dépense 68 euros par jour, contre 55 euros pour les autres touristes.
Les aventuriers frugaux, dont la quête était le dépassement de soi et le rapport individuel à la nature, deviennent une minorité. Ils fuient les sentiers balisés et cherchent, dans les massifs intermédiaires, les dénivelés qui font encore peur aux nouveaux cyclotouristes. Ces derniers sont ciblés par des marques qui vendent vélo, textiles et accessoires à des tarifs rappelant le marché du luxe. C’est le prolongement d’un changement, entamé au siècle dernier, dans la pratique du vélo : en baisse chez les ouvriers et employés, en hausse chez les femmes et catégories sociales supérieures.
Sur la Vélodyssée entre Mimizan et Vieux-Boucau
Le plaisir « sans souffrir »
La démocratisation du tourisme à vélo est concomitante à celle du cyclisme urbain. Elle est facilitée par la révolution de l’électrique et la prise de conscience que les enfants peuvent accompagner l’aventure. « Cet été, on avait surtout des familles de cadres, 30 à 40 ans, avec de jeunes enfants, relate Valérie Azezian, de l’agence de voyage spécialisée France à vélo. Ils louaient des carrioles, des vélos suiveurs et partaient une semaine sur les châteaux de la Loire. On a loué beaucoup de VAE aux Français : ils veulent se faire plaisir mais sans trop souffrir. » Ses habituels clients étrangers sont plus âgés et sportifs.
Olivier Hamon bichonne cette clientèle « sympa et très décontractée » dans son auberge des Aubépines, façade crème et volets verts, qui jouxte la petite gare d’Illiers-Combray (Eure-et-Loir). La Véloscénie passe par ce lieu de pèlerinage proustien, carte postale de la France rurale, à 30 kilomètres de Chartres. Surprise, cet été : l’absence des Anglo-Saxons a été compensée par l’arrivée de familles françaises en VAE.
Le camping demeure, de loin, le premier mode d’hébergement, mais les économies ainsi faites se reportent sur la culture, les produits locaux et, surtout, la restauration. La clientèle sportive, en forte progression et qui se déploie autour de lieux de culte comme le mont Ventoux, est la plus dépensière avec près de 90 euros par jour. Le chiffre d’affaires du tourisme à vélo est évalué par l’Ademe à 4,2 milliards d’euros en 2019, soit un milliard de moins que l’œnotourisme.
Ces dépenses non délocalisables et les emplois locaux induits convainquent nombre de collectivités de développer des voies cyclables, dont le coût est modeste et souvent abondé par des financements européens. « Le développement de la Loire à vélo a changé à la fois le regard des professionnels et des élus, retrace Nicolas Mercat, du cabinet d’études Inddigo, spécialisé dans la pratique cycliste. En plus d’être une clientèle à fort pouvoir d’achat, le cyclotouriste est aussi la possibilité d’une saison longue, de Pâques à la Toussaint. »
Hormis sur la Loire à vélo, l’offre touristique évolue toutefois moins vite que le tracé des routes… qui lui-même prend du temps. Les services liés au cyclotourisme, qu’ils soient marchands (location de vélo, transport de bagages) ou non-marchands (aires de bivouac, points d’eau ou toilettes publiques), se sont aussi développés à un rythme moins frénétique que l’aménagement des véloroutes.
« On a encore des territoires de conquête, admet Camille Thomé, directrice de Vélo & territoires. Il reste des zones où le cycliste est un peu dubitatif : parce qu’il ne trouve pas où dîner, parce qu’il y a un vide d’hébergement ou un refus des hébergements à la nuitée. » Olivier Midière, directeur de l’Agence régionale du tourisme Grand-Est, constate que « certains acteurs, qui sont installés depuis un moment, ne font pas les efforts nécessaires. Trouver les restaurants fermés le dimanche sur la véloroute, cela pose problème. »
La SNCF irrite les cyclotouristes
Il est un acteur, lui aussi installé depuis un moment, qui irrite les cyclotouristes davantage qu’un restaurant fermé, une crevaison inopportune ou une averse imprévue : la SNCF. « Le train est censé être le meilleur ami du vélo mais pas en France, se désole Sébastien Bosvieux, Toulousain de 44 ans qui voyage fréquemment avec sa compagne. En Suisse, en Allemagne, en Autriche, tout est prévu, avec un wagon uniquement consacré aux vélos ou des remorques derrière les cars. La SNCF n’a pas pris la mesure de l’enjeu et, lorsqu’on va prendre un train avec son vélo, on ne sait jamais comment on va être reçu par le contrôleur. C’est compliqué d’organiser des vacances dans ces conditions. »
A la SNCF, les règles de transport des vélos non démontés varient d’un train et d’une ligne à l’autre. La façade Ouest est, de manière générale, mieux pourvue que le reste de la France. Camille Thomé constate que la France a refait son retard sur ses voisins européens, à l’exception de cette fameuse intermodalité « train ou car + vélo ». « C’est une faiblesse concurrentielle pour nous. Nous avons bon espoir que la situation s’améliore grâce à la loi d’orientation des mobilités (LOM). Dans tous les cas, cela se comptera en années avant de rénover le matériel roulant, aujourd’hui inadapté. »
La LOM, promulguée en décembre 2019, prévoit d’améliorer l’emport des vélos non démontés dans les trains. Mais seuls les décrets, à paraître, fixeront le nombre minimal d’emplacements. Les associations de cyclistes souhaiteraient qu’il soit de huit. La SNCF se garde bien d’évoquer publiquement un chiffre. « Nous travaillons depuis plusieurs mois avec l’Etat et les associations pour trouver le bon équilibre permettant d’accompagner le développement du cyclotourisme », déclare le groupe ferroviaire, qui a pris langue avec un collectif d’usagers baptisé Train + Vélo. L’association Vélo & territoires compte davantage sur l’ouverture du rail à la concurrence pour « bousculer la vieille garde et faire que le regard change ». Après tout, même les cathédrales millénaires ont su s’adapter à l’émergence du touriste pédalant.
Tags : Presse, Voyage
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